Des figures de la jeunesse habitent chacun de mes romans qu’elles soient isolées ou saisies dans des collectifs, qu’elles soient spectrales, situées en hors champ ou éclairées a giorno et agissant le récit. Pour autant ce qui se joue pour moi dans l’approche d’un tel motif ne tient pas seulement au corps, à l’énergie, à la beauté de la jeunesse, à sa puissance singulière, mais plutôt aux commencements que, se déployant, elle charrie.
Le cinéma comme art du mouvement et de la durée permet de rallier ces intronisations, d’incarner ces baptêmes. La Fureur de vivre de Nicholas Ray (1955), Les Roseaux sauvages d’André Téchiné (1994), Esther Kahn d’Arnaud Depleschin (2000), L’Esquive d’Abdellatif Kechiche (2004) : ces quatre films situent un rite de passage, restituent une initiation à l’amour, au verbe, à la politique, à l’art et à la violence − c’est Esther Kahn qui franchit la Tamise pour devenir actrice et regarde les lumières de Londres briller au-devant de la barque ; c’est Krimo qui monte sur une estrade pour dire la langue de Marivaux dans _L’Esquive_ ; ce sont Maïté, François, Serge et Henri qui, le temps d’un été, sont pris dans un même mouvement qui lie l’engagement politique et l’éveil à la sexualité dans Les Roseaux sauvages, ou encore Jim qui se rebelle contre la famille et se confronte à l’ordre social dans La Fureur de vivre.
À ces êtres de lisière, tâtonnants et fougueux, le cinéma donne un plateau où capter leur grâce, où faire l’expérience de ces épiphanies déchirantes, de l’émerveillement et de l’hostilité, du désenchantement aussi. Sous nos yeux, des garçons et des filles sont en train d’advenir à eux-mêmes : ils franchissent des seuils pour s’exposer toujours plus frontalement au monde, habiter toujours plus intensément leur vie.
Maylis de Kerangal
Les Roseaux sauvages
Esther Kahn
L’Esquive
La Fureur de vivre
Rencontre avec Maylis de Kerangal – Cinémathèque
Rencontre avec Maylis de Kerangal – Ombres Blanches