Fermer cette fenêtre banner

Akira Kurosawa

Du vendredi 27 janvier 2017
au mercredi 15 mars 2017


Voir les projections

Pendant de nombreuses années, il a été très compliqué de monter une rétrospective Kurosawa. La ressortie de dix-huit de ses films menée par Carlotta – avec ceux réédités par ailleurs et ceux issus des collections de la Cinémathèque de Toulouse – rend aujourd’hui ce projet réalisable. Les Sept Samouraïs, Kagemusha, Ran, Chien enragé, Barberousse, _Rashômon_…, la filmographie de Kurosawa compte de nombreux classiques du cinéma japonais – et international, tant il a eu de résonance à travers le monde depuis Rashômon et son Lion d’or à la Mostra de Venise en 1951. Kurosawa a éveillé l’Occident au cinéma japonais. Il l’a aussi très fortement influencé – tout en étant lui-même nourri de culture occidentale (de Ford à Shakespeare) –, signant quasiment, malgré lui, les débuts du western spaghetti (Sergio Leone s’inspirant très largement de Yojimbo pour son Pour une poignée de dollars_)…
La qualité et l’importance du cinéma de Kurosawa dans l’histoire du cinéma ne sont plus à prouver. Et telle rétrospective ne présentera aucun enjeu spécifique si ce n’est de revoir le travail d’un maître. Rappeler seulement cette singularité qui est la sienne, à savoir être un pont, un trait d’union, entre cinéma japonais et cinéma occidental. Ce qui en fait un cinéma universel. Rappeler également la période troublée qui le vit débuter (de l’assistanat des années 1930 au succès international) : passage de l’ère Showa (de 1926 à la capitulation en 1945) à la tutelle américaine (jusqu’en 1951), d’une ère militariste à une démocratisation forcée du pays par un occupant. Une période de bouleversement de la société japonaise. Ces rappels passés, laissons l’analyse à un cinéaste, un autre maître, que l’on n’attend pas forcément quand on parle de Kurosawa : Satyajit Ray. Voici ce qu’il en dit dans ses Écrits sur le cinéma :
« Parmi les divers éléments dont l’ensemble constitue le travail de Kurosawa, il y en a deux qui demeurent mystérieux : l’un est l’accent mis sur l’action, voire l’agressivité : les combats de Kurosawa sont parmi les plus violents jamais portés à l’écran. Ceci est-il un trait spécifiquement japonais ? Et dans l’affirmative, pourquoi ne le trouve-t-on pas dans les ouvrages des deux autres grands maîtres du cinéma nippon, Ozu et Mizoguchi ?
L’autre élément est le caractère didactique qu’il tend à donner à ses films – principalement à ceux dont le sujet est contemporain. Ceci aussi lui semble absolument personnel : aucun autre maître japonais ne se montre de loin aussi didactique que lui. […]
Avant de se mettre à faire lui-même des films, Kurosawa fréquentait avec passion les salles obscures. Ses réalisateurs préférés étaient tous américains : Ford, Wyler, Capra, Stevens, Hawks. Je crois que l’on peut considérer sans risque d’erreur que, pour les grandes scènes de bataille, comme pour les combats individuels, c’est Ford qui a le plus influencé Kurosawa. Le sentiment de joyeuse vigueur qui émane du film de samouraï, ainsi que le style des combats et l’emploi des mêmes acteurs pour certains rôles stéréotypés se retrouvent dans les westerns de Ford.
La tendance didactique de Kurosawa pourrait être due à l’influence de Capra (_L’Extravagant Mr. Deeds
, Mr. Smith au Sénat, L’Homme de la rue). On trouve chez lui la même tendance à prendre pour thème un mal social et à le mettre en lumière par l’intermédiaire d’un protagoniste idéal. Il y a cependant une différence : tandis que Capra colore son didactisme d’un genre de fantaisie personnelle – mais toujours américaine –, Kurosawa ne va jamais au-delà de l’ironie.
S’ajoutant à ces influences purement cinématographiques, on trouve celle des grands romanciers russes du XIXe siècle : Tolstoï, Dostoïevski, Tourgueniev (”je reviens sans cesse à eux” dit Kurosawa). C’est d’eux sans doute que vient la qualité exceptionnelle des films de Kurosawa. Il les investit d’un caractère qui, au mieux, donne naissance aux Sept Samouraïs ou à Vivre. Et il confère même à ses films les moins réussis, Les Salauds dorment en paix ou Entre le ciel et l’enfer, un sérieux que l’on trouve rarement au cinéma. […]
Même les ouvrages les moins importants de Kurosawa témoignent d’une maîtrise technique vraiment stupéfiante. Il est, en premier lieu, un maître du montage. “Pour moi, dit Kurosawa, filmer, c’est fabriquer quelque chose à monter”. Il ne faut pas prendre, bien sûr, cette affirmation dans son sens littéral, mais la manière même dont Kurosawa exécute ses prises de vues dénote sa véritable obsession pour la continuité (”le caractère coulant”, comme il dit), à la fois sous son aspect physique et émotionnel. Il tourne ses films dans l’ordre des séquences – méthode coûteuse que peu de réalisateurs peuvent se permettre d’adopter. Il tourne aussi avec plusieurs caméras – procédé non moins coûteux –, ce qui automatiquement résout certains des problèmes de continuité les plus difficiles. La bande sonore – toujours composée avec le soin le plus méticuleux – ajoute encore à l’impression de fluidité.
C’est d’ailleurs cette qualité même qui le maintient dans le cadre de la tradition et l’empêche de suivre les tendances qui se font jour au sein de la nouvelle avant-garde occidentale. Voici une autre citation qui illustre cette situation : “c’est seulement quand un réalisateur a quelque chose à dire qu’il trouve la forme, le savoir-faire, la technique nécessaire à la réalisation de son film. Si vous êtes uniquement préoccupé de la manière dont vous dîtes les choses, sans que vous ayez vraiment quelque chose à dire, vous serez forcés de voir que, à lui seul, le langage ne mène à rien. La technique ne donne pas une dimension différente à un réalisateur. Bien au contraire, elle le limite. La technique seule, sans rien pour en supporter le poids, écrase l’idée fondamentale qui doit toujours dominer”. »
Action et didactisme. Continuité. Technique et idée. Humanisme. Voilà qui pourrait résumer les traits spécifiques du cinéma de Kurosawa. Et on les retrouvera quel que soit le genre : film de sabre, film noir, fresque historique, ou drame contemporain.

Franck Lubet, responsable de la programmation

Bibliographie