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Le cinéma colonial français, entre exotisme et propagande

Du mardi 16 octobre 2018
au mercredi 07 novembre 2018


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La proposition n’est pas des plus politiquement correctes, nous devons en convenir. Et elle demandera de savoir prendre du recul face à une page de notre histoire nationale loin d’être toute à son honneur et pourtant présentée glorieusement dans les films que nous vous proposerons au cours de cette programmation. Ainsi questionnera-t-elle moins le cinéma et son histoire que l’histoire dans le reflet du cinéma. Elle nous plongera dans la France et son empire colonial, des années 1920 aux années 1940, à travers des films (documentaires et fictions) produits exclusivement durant la période et prenant les colonies comme sujets ou comme décors. Une plongée au cœur de ténèbres qui se pensaient et se voulaient éclairées et dont la suffisance, si ce n’est l’arrogance, trouve encore quelque écho dans certains discours actuels rances. Quand elle n’est pas prise en otage du fantasme politique du roman national, l’histoire possède ce don de mettre l’actualité en perspective en rafraîchissant la mémoire. Et le cinéma peut l’y aider par son caractère rétrospectif autant qu’introspectif, avec des films davantage abordés ici sous l’angle de documents permettant de réévaluer une période historique pour ré-appréhender un état présent du monde.

La France est donc, alors, un empire colonial. Un empire − le second empire colonial français − constitué dans le courant du XIXe siècle par la conquête de territoires, l’Algérie en tête, ainsi qu’en Asie (Indochine), Océanie (Nouvelle-Calédonie, Madagascar, Polynésie française) et en Afrique : Gabon, Congo, Tchad… réunis sous le nom d’Afrique Équatoriale Française (AEF) et Sénégal, Côte d’Ivoire, Mali, Niger… réunis sous le nom d’Afrique Occidentale Française (AOF)… Plus les pays sous protectorat ou mandat tels que le Maroc, la Tunisie, le Liban ou le Cambodge. Un empire qui s’est légitimé sur l’idée d’apporter la civilisation aux peuples de ces territoires, fut-ce contre leur gré, et qui connaîtra son apogée dans les années 1930, marquées par l’Exposition coloniale de 1931. L’empire colonial est alors, au sortir de la Première Guerre mondiale, une vitrine de la puissance de la France. Et le cinéma français, à la fois pour dépayser et rassurer les Français de métropole et impressionner ses voisins, le montrera comme on bombe le torse au fur et à mesure que grondent les bottes d’un nouveau conflit mondial. Jusqu’à devenir un enjeu stratégique entre la France de Vichy et la France libre durant la Seconde Guerre mondiale. Nous pousserons jusqu’à la Libération et la fin des années 1940, nous arrêtant sciemment au seuil des guerres d’indépendance et du processus de décolonisation avec Afrique 50 de René Vautier (1950) et Les Statues meurent aussi d’Alain Resnais et Chris Marker (1953) − les deux premiers films anticolonialistes réalisés par des cinéastes français, marquant une prise de conscience et de position du cinéma français sur le colonialisme (deux films interdits par la censure).

Faudrait-il alors parler d’un cinéma colonial français ou de cinéma français en situation coloniale ? Peut-être de films colonialistes et de films qui ont trait aux colonies, mêlés au courant de la production cinématographique hexagonale. Car le cinéma français ne donne pas que des « films coloniaux » sur la période, mais tous ces films, en revanche, sont à destination du public de la métropole, ou occupant (il faudra attendre 1947 et La Septième Porte d’André Zwobada pour voir un film tourné en deux versions : française et arabe). Les colonies font alors partie du décor et nul ne remettrait en question ces possessions françaises investies par une mission civilisatrice bienfaisante. N’y apporte-t-on pas la paix, l’éducation et la médecine à des primitifs ? Sans parler des infrastructures pour développer l’agriculture, l’industrie et le commerce.

Nul doute que ce cinéma-là est pétri d’un discours de propagande. Sûr de sa supériorité et de sa bonne conscience. Pour révéler des pratiques d’un autre temps (Mœurs et coutumes des Indigènes d’Afrique centrale, Razaf le malgache, À travers Madagascar…). Pour valoriser les richesses des colonies aux yeux de la métropole (Harmonieux ombrages d’Indochine), ainsi que l’action colonisatrice bienfaitrice (Le Réveil d’une race et Karamoko, le maître d’école, Sahara… terre féconde…). Et pour valoriser la France aux yeux du reste du monde (La France est un empire et L’Homme du Niger qui devaient représenter la France au Festival de Cannes de 1939 qui n’aura pas lieu, ou Brazza ou l’épopée du Congo). Une inclinaison à la propagande qui prendra une intonation nouvelle avec la déchirure en deux de la France, la pétainiste et la gaulliste : voir ne serait-ce que les deux programmes de courts métrages pour en saisir l’évolution, en y ajoutant l’écoute du discours de de Gaulle à la conférence de Brazzaville en 1944, consultable sur le poste de consultation multimédia INA / CNC en bibliothèque (où nous pourrons encore trouver de nombreux autres documents audiovisuels que nous n’avons pas pu programmer ici). De la colonisation au statut des colonies, de la IIIe à la IVe République, on y voit se développer un véritable enjeu politique.

On y découvrira aussi, baignés d’exotisme, des territoires d’aventures et d’émerveillements, de fantasmes et de projections de l’homme blanc, en quête spirituelle (L’Appel du silence) ou fuyant ce fameux monde civilisé, s’il n’en a pas été banni (Pépé le moko, Le Grand Jeu…). Un exotisme aventureux qui pourrait bien être à l’origine d’un genre, comme le western américain, occultant une histoire de conquête, plante des héros en terrain hostile, l’Indigène remplaçant l’Indien : le film de légionnaire (L’Atlantide, La Bandera, Le Chemin de l’honneur…). Et du film de légionnaire au mélodrame d’anciens combattants, du soldat au colon : L’Appel du bled, La Soif des hommes. Mon français ce héros. Ou des héros tout court dans une France en situation coloniale.

Zwobada filmera une légende arabe (La Septième Porte), comme avant lui Marc Allégret avait su poser un regard poétique sur le Congo (Voyage au Congo) et Pierre Ichac avait filmé les Touaregs dans un docu-fiction (Le Chant du Hoggar). Mais malgré cela, le regard reste essentiellement celui du colonisateur et en dit finalement plus de la France d’alors que sur ses colonies ; bien que paradoxalement, au-delà de nombreuses images d’Epinal, et faisant abstraction des commentaires ou de la mise en scène, certains films comme Razaf le malgache ou À travers Madagascar sont désormais des enregistrements précieux de cérémonies et de rites disparus. Comme des images volées. À l’oubli. Ainsi qu’à un peuple. Et c’est aussi cette histoire que racontera cette programmation, celle d’une histoire confisquée par des images prises par un colonisateur. Aussi nous la débuterons et la bouclerons par un film essentiel d’Assia Djebar, La Zerda et les chants de l’oubli, des images d’archives de l’époque coloniale que l’écrivaine algérienne remet à leur place, leur donnant d’autres mots, rappelant l’histoire derrière les images.

Franck Lubet, Responsable de la programmation

Programmation élaborée en partenariat avec la Direction du Patrimoine Cinématograpique du CNC.