Denis Lavant, l’acteur incarné
Inoubliable chez Leos Carax dont il a incarné le double à l’écran, d’Alex à Monsieur Oscar en passant par Monsieur Merde. Simplement beau au travail chez Claire Denis, magnifiquement acharné en Capitaine Achab chez Philippe Ramos, ou sexe qui parle dans 21 nuits avec Pattie des frères Larrieu, pour ne citer que quelques rôles. Denis Lavant est plus qu’un acteur ou une gueule, plus qu’un saltimbanque ou un transformiste. Il est une étincelle. Il est l’incarnation. Il ne joue pas. Il est. Animal. Comme on dit « bête de scène ». Animal, tant son jeu tient de l’instinct.
Distinct, l’acteur l’est de tous les autres. De sa génération comme des précédentes. Sauf peut-être Lon Chaney, que l’on pourrait convoquer pour son rapport au corps, son travail avec le corps, sa manière d’exprimer avec le corps. De le transformer et le contraindre. Mais où Lon Chaney saisit par la performance, Denis Lavant enlève par la grâce. Par la fluidité des gestes. Du geste. Il ajoute la chorégraphie. Il est corps et graphie. Celui qui écrit avec son corps.
Denis Lavant parle de sculpter un personnage, de forger son instrument de travail, c’est-à-dire lui-même. À la fois le stradivarius et son archet. Son archer serait plus juste, tant il décoche de fulgurances à chaque rôle. Tant il décoche, comme on dit en fonderie quand on brise le moule pour libérer la cloche, se révélant nouveau à chaque fois. Un acteur qui ne se répète jamais, incarnant véritablement des personnages qui sont à travers lui pour la première et dernière fois, leur donnant âme et poésie, même quand il s’agit de zombie (La Nuit a dévoré le monde).
Habitant ses personnages, faisant corps avec eux, il est l’acteur incarné. Depuis trente ans, Denis Lavant continue comme il a commencé, pour la beauté du geste. Nous profiterons de sa présence sur scène à la Cave Poésie − dans La Chasse au snark de Lewis Carroll − pour saluer son talent à l’écran.
Franck Lubet, responsable de la programmation