Ouverture | El Dorado
Marcel L’Herbier. 1921. France. 98 min. Noir & blanc / teinté. 35 mm. Muet. Intertitres français.
D’un côté, il y a cette histoire, ce mélodrame un rien exotique, ni pire, ni meilleur qu’un autre. El Dorado, ou le récit d’une danseuse de cabaret andalou, Sibilla, rejetée par le père de son enfant malade mais prête à tout pour sauver sa progéniture. De l’autre, il y a ce cinéaste, Marcel L’Herbier, exalté, idéaliste et passionné, un poète converti depuis le milieu des années 1910 aux infinis moyens d’expression du cinéma. Gaumont l’a pris en 1919 sous contrat pour trois ans. Sa seule contrainte : les scénarios doivent toucher le grand public. Mais qu’importe ! L’Herbier transcende son sujet et enfante un drame musical avant-gardiste. Une mélodie d’image proprement stupéfiante où l’explorateur, l’inventeur L’Herbier met tout en œuvre pour traduire visuellement les tourments de son héroïne, impeccablement interprétée par la divine Eve Francis. Les distorsions de l’image expriment l’ivresse, les étonnants flous « partiels » reflètent les lourdes préoccupations, les teintes de chaque plan (choisies par L’Herbier) jouent sur une gamme subtile d’émotions. Le noir et blanc acéré tranche radicalement sur un orange éclatant qui se dégrade en un jaune terne. Vaporeuses, tremblantes ou angulaires, les polices de caractères utilisées pour les intertitres s’invitent elles aussi à la géniale symphonie impressionniste. Durant des décennies, El Dorado ne survécut que sur de mauvaises copies contretypées noir et blanc. Les teintes disparurent ainsi que certains des intertitres. Les projections se donnaient dans le silence. En 1995, Gaumont et les Archives françaises du film du CNC s’attelèrent à donner une seconde naissance au film. Il fallut donc reconstituer le montage originel et reconstruire les intertitres manquants et bien sûr restituer les teintages pour qu’enfin ce parfait exemple de cinéma total déchaîne à nouveau les enthousiasmes.
Séance présentée par Manuela Padoan, directrice de Gaumont Pathé Archives
Séance accompagnée au piano par Michel Lehmann