Jean-Daniel Pollet : l’écrit à l’écran
« Il est cinéaste. Il n’a vécu que pour faire des films. Toujours un de plus : envers et contre toutes circonstances. » C’est ainsi que Jean-Daniel Pollet se présentait, dans la note d’intention de son dernier film.
Tout au long de sa vie, Pollet a été habité par son cinéma en développant, entre films de fiction et films-essais, une œuvre cohérente et puissante dans laquelle souffle un vent de liberté totale.
Parmi les fonds d’archives d’une cinémathèque, les ensembles constitués par les réalisateurs et rassemblant photos de repérage, notes d’intention, documents préparatoires, scénarios, storyboards et autres, représentent ce lieu secret où l’on peut apercevoir les inspirations, les hésitations, les choix qui sont à la base de leurs films. Y pénétrer signifie entrer dans le « saint des saints » du cinéaste pour entrevoir le cœur du processus de création, en plongeant dans les profondeurs de l’œuvre.
C’est dans ce but que la Cinémathèque de Toulouse a entamé il y a quelques années un travail d’acquisition de ce type d’archives, en invitant les cinéastes à lui confier leurs documents de travail. L’un des fonds les plus foisonnants, complexes et éclectiques que la Cinémathèque conserve est sans aucun doute celui de Jean-Daniel Pollet : une grande masse de documents, qui était dans sa maison provençale, à Cadenet, et que Françoise Geissler, son épouse et collaboratrice pendant de très longues années, nous a confiée en 2010.
Textes manuscrits au stylo et aux crayons de couleur, planches de photos, dialogues annotés, collages de citations et de photographies, listes de mots-clés, carnets de notes, jeu de cartes avec des mots… Toute cette matière nous fait toucher du doigt les particularités du processus créatif qui font de Jean-Daniel Pollet un cinéaste hors norme, exigeant, essentiel. Elle dévoile plusieurs éléments de sa méthode : un recyclage très personnel, où la source est absorbée et intégralement renouvelée ; la sédimentation, où chaque nouvelle étape n’efface pas la précédente mais s’ajoute à elle, en la modifiant ; l’usage de la photographie de repérage, qui devient réminiscence ; et – surtout – le jeu avec le langage, où les mots sont lancés comme des dès, tournés comme des cartes.
Les documents que nous présentons dans cette exposition témoignent de sa méthode d’écriture utilisant le moindre petit bout de papier, collage ou assemblage comme matière brute. Nous y voyons à l’œuvre les variations autour d’un motif, la sérialité, la répétition, l’exponentialité : textes, mots-clés, extraits de ses films précédents, photographies de repérage sont retravaillés par le cinéaste, fragmentés, explosés par multiplication des points de vue, assemblés différemment pour en chercher un sens nouveau. Les idées, les concepts, les images, les voix, noircissent le papier, s’y déposant, couche sur couche, avec le calme inexorable du temps lui-même.
Ces archives étalent sous nos yeux l’incroyable capacité de Jean-Daniel Pollet à faire dialoguer le visuel et le textuel, en captant et en restituant la poésie et la beauté du monde.
Francesca Bozzano
directrice des collections de la Cinémathèque de Toulouse
Entrée libre – Cinémathèque de Toulouse (hall)