La séance de Gilda prévue le vendredi 25 avril à 18h30 aux Abattoirs est annulée.
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Marseille, ville de cinéma
… Et pourquoi pas Toulouse ?, vous demandez-vous. Faites le compte des films sur Toulouse ou dont l’action se passe à Toulouse, et vous aurez la réponse par vous-même. Le cinéma et Marseille, c’est une histoire de longue date qui a pour ainsi dire démarré avec l’arrivée d’un train en gare de la Ciotat. En 1895. Filmée par les frères Lumière. Et la lumière, justement, n’est peut-être pas pour rien dans son pouvoir de séduction. Le cinéma aime la lumière et Marseille est une ville de soleil. Marcel Pagnol y créa même ses propres studios. Mais est-ce suffisant pour en faire la deuxième ville française la plus filmée après Paris ?
Marseille, ville de cinéma : oui. Mais aussi : Marseille, ville en cinéma. Une ville à l’identité forte. Une ville qui est quasiment un personnage à part entière, plus qu’un décor. Une ville dont on peut dessiner un portrait à travers les films qui y ont été tournés. Soit que la ville impose son âme au cinéma malgré lui. Soit que le cinéma y vient chercher un supplément d’âme qui correspond à l’image que l’on s’en fait, au risque de flirter avec le cliché. Quoi qu’il en soit, tourner un film dont l’action se déroule à Marseille n’est pas anodin. Tourner un film sur Marseille, encore moins.
Deux facettes se dégagent principalement quand on regarde de près l’ensemble de la production qui y a été tournée : le crime organisé et le cinéma policier d’un côté, le socio-politique et une forme de cinéma militant de l’autre. Le tout lié à un schème culturel dont Pagnol, le grand absent de cette programmation pour cause de copies en cours de restauration, a ancré les canons dans l’inconscient collectif national. L’accent, le pastis, le Vieux-Port, le milieu et les dockers pour résumer.
Le volet gangster / policier n’a pas besoin de plus d’explications. C’est celui de la French Connection et des règlements de comptes, celui des faits divers, la facette marseillaise que l’on connaît avant tout à travers la presse et que le cinéma ne fait que mythifier et parfois démystifier. Notre Chicago national.
Le volet socio-politique est plus intéressant et complexe. Non pas seulement par son contenu, mais surtout par sa continuité, son inscription dans la durée, qui n’est plus simplement la durée d’un film, mais une durée historique. C’est là le point de croisement de « la ville de cinéma » et de « la ville en cinéma ». Marseille possède ses cinéastes. Des cinéastes qui, comme une profession de foi, (se) sont attachés à la ville. René Allio, Robert Guédiguian, Paul Carpita, Jean-Louis Comolli et Michel Samson, Denis Gheerbrant. Ces cinéastes-là, même d’adoption, sont cinéastes marseillais avant tout. C’est peu dire qu’ils aiment la ville ; ils cherchent à en saisir le secret. Leur cinéma évolue avec la ville et en enregistre les transformations. Si Carpita avec Le Rendez-vous des quais enracine la ville dans sa dimension géopolitique (le port comme lieu de vie et de lutte), les autres, à partir de cet enracinement, par la récurrence de leurs films « marseillais », en donnent comme un work in progress, une véritable vue en coupe qui tient de la frise historique. René Allio, de La Vieille Dame indigne à Marseille, la vieille ville indigne coréalisé avec Guédiguian, en passant par Retour à Marseille et L’Heure exquise photographié par Gheerbrant, pose par exemple des bornes repères (années 1960, début 1980 et début 1990 à la fin de sa vie). L’œuvre de Guédiguian (même si nous n’en programmons qu’un film), nous l’avions vue lors de l’intégrale que nous lui avions consacrée en 2007, par sa fidélité (unité de lieu et d’acteurs), constitue une véritable fresque marseillaise du début des années 1980 à nos jours. Et enfin, avec La République Marseille de Gheerbrant, et surtout l’ensemble Marseille contre Marseille de Comolli et Samson qui enregistrent les campagnes électorales à Marseille depuis 1989, la cité phocéenne devient littéralement laboratoire. Une ville passée au microscope qui, avec toutes ses spécificités propres, nous parle finalement de la France tout entière. Quelque chose du détail au général en quelque sorte. Comme ce curieux paradoxe qu’est La Marseillaise quand on y pense : un hymne national dont le titre fait référence à une ville en particulier…
Bref, de Honoré de Marseille à La République Marseille, une programmation qui a des allures de cartographie urbaine, et qui, puisque César ne sera pas là pour nous fendre le cœur, est aussi une invitation à glisser de la carte postale à la carte d’électeur.
Franck Lubet
Bibliographie sélective :
Daniel Armogathe (coord.), 100 ans de cinéma marseillais.
Marseille : Ville de Marseille, 1995.
Daniel Armogathe et Pierre Echinard, Marseille, port du 7e Art.
[S. l.] : Éd. Jeanne Laffitte, 1995.
Thierry Jousse et Thierry Paquot (dir.), La Ville au cinéma : encyclopédie. Paris : Cahiers du cinéma, 2005.