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Tourneur, père et fils

Du mardi 06 janvier 2015
au mercredi 11 février 2015


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Tel père, tel fils, avons-nous coutume de dire. Et il en va de la coutume avec les Tourneur. Maurice, le père, et Jacques, le fils. Si ce n’était l’histoire qui aime parfois mettre son grain de sel dans l’ordre des choses. Jacques est aujourd’hui bien plus reconnu que Maurice. Et il faut désormais inverser l’adage – tel fils, tel père – pour évoquer Maurice. De « fils de » à « père de » en quelque sorte. Pourtant le père n’a rien à envier au fils. Et il fut un temps où Maurice, classé aux côtés de Griffith, Ince et Cecil B. DeMille parmi les plus grands cinéastes américains de la fin des années 1910 – début des années 1920 (il a même son étoile sur le Walk of Fame), trôna bien plus haut dans les charts que Jacques. Mais peu importe. Il ne s’agira pas de les mettre en concurrence. Ni même de les rapprocher abusivement. Leur seul lien de parenté suffit à les réunir dans une même programmation, confirmé par leur talent respectif. L’envie, d’abord, de revoir les films de Jacques Tourneur, dont la réputation n’est plus à faire. L’envie, ensuite, de redécouvrir Maurice Tourneur, dont la réputation est à refaire.

Jacques d’abord, pour garder l’ordre de la cinéphilie actuelle. Né en France en 1904 (mort en 1977), il grandit aux États-Unis, revenant en France en 1926 avec son père auprès de qui il apprendra le métier comme assistant-réalisateur et monteur (Accusée, levez-vous !, Au nom de la loi, Les Gaîtés de l’escadron). Il réalisera même ses premiers films en France (quatre, dont Les Filles de la concierge) avant d’aller tenter sa chance de l’autre côté de l’Atlantique au milieu des années 1930. Une chance qui mettra du temps à se présenter, puisque après de nombreux courts métrages et quelques séries B, il lui faudra attendre 1942 et la rencontre avec Val Lewton à la RKO pour faire sa place dans l’industrie hollywoodienne. C’est le temps de La Féline, série B mais énorme succès qui allait éponger les pertes de Citizen Kane, un gage de qualité à Hollywood. Tourné dans les décors de La Splendeur des Amberson qui annonçait déjà le début de la fin entre Welles et les studios, La Féline sonne en revanche pour Jacques Tourneur la fin des débuts. Il marque de sa griffe le cinéma fantastique : suggérer plutôt que montrer pour susciter la peur. Glisser l’irrationnel dans le réel pour provoquer le doute. Convoquer le hors-champ pour révéler l’inconscient. Une base que l’on retrouvera dans la plupart de ses films ultérieurs et ce quel que soit le genre, puisqu’il donnera autant dans le western, le film noir, le film d’aventure, de guerre, le drame, la comédie… Non pas mettre du fantastique partout, mais sonder l’inconscient de personnages souvent troubles et en proie au doute. Cela passe par une écriture sèche mais pleine d’idées et d’efficacité. Cela passe aussi par un éclairage alchimique qui, loin de les opposer, associe ombre et lumière comme science et croyances populaires, dans un effet de miroir qui finit par réunir le sujet et son reflet. Une projection de l’un dans l’autre en somme, et sa réflexion (dans les deux sens du terme). L’image que l’on me renvoie est-elle juste ou de quel côté du miroir suis-je ? Une question qui tient plus de la psychanalyse que de l’ésotérisme. Et qui est finalement la clé de voûte de l’œuvre de Jacques.

Pour Maurice (1876-1961), c’est une autre histoire. Elle commence dans les années 1910, après être passé par une formation à la sculpture auprès de Rodin, à la peinture auprès de Puvis de Chavannes, et par les planches à l’Odéon. Maurice Tourneur est d’abord acteur, puis devient assistant et enfin réalisateur aux alentours de 1912. Le temps de tourner une douzaine de films pour Éclair (dont Le Friquet, Figures de cire, La Bergère d’Ivry ou Les Gaîtés de l’escadron) avant de partir aux États-Unis à la veille de la guerre de 1914. Il y restera jusqu’au milieu des années 1920, passant par différents studios et notamment la Paramount où il dirigea « la petite fiancée de l’Amérique », Mary Pickford. Plus qu’une écriture, il y développe un style extrêmement visuel. Une composition du plan très picturale, n’hésitant pas à recréer des cadres à l’intérieur du cadre, et une lumière littéralement sculptée. Tourneur fait du cinéma comme des beaux-arts. Une approche plastique du plan que l’on pourra juger dans deux films emblématiques de sa période américaine et de genres différents : L’Oiseau bleu, un conte féerique, et Le Dernier des Mohicans, plutôt film d’aventure. Tourneur amène l’art dans le cinéma américain et retourne en France où on lui reprochera, dans les premiers temps, son absence durant la Grande Guerre. Cela ne l’empêchera pas de reprendre du service et d’assurer après le passage du muet au parlant une seconde partie de carrière très riche, mais souvent minorée car considérée comme trop commerciale venant d’un artiste consacré. Elle n’est pourtant pas moins intéressante. Au contraire ; jalonnée de genres différents (film de gangsters ou policier, comédie, film historique, drame, fantastique…), elle révèle comme on peut en trouver dans le cinéma hollywoodien, une véritable écriture filmique qui en fait peut-être bien le plus américain des cinéastes français. Une écriture qui sait se faire discrète et s’intégrer parfaitement à l’histoire racontée. Ou comment adapter les ambitions artistiques du cinéma à sa nécessité narrative. Du plasticien à l’auteur.

Franck Lubet

Bibliographie sélective disponible à la bibliothèque du cinéma :

MITRY Jean, Maurice Tourneur. Paris : L’Avant-Scène Cinéma,
collection « Anthologie du cinéma », tome 4, 1969.

TOURNEUR Jacques, Écrits, présentés par Jacques Manlay.
Pertuis : Rouge Profond, 2003.

WILSON Michael Henry, Jacques Tourneur ou la magie de la suggestion.
Paris : Centre Pompidou, 2003.