Free Cinema
En février 1956 à Londres, était projeté au National Film Theatre un programme de trois documentaires, deux courts et un moyen métrages, réalisés par des inconnus et produits en dehors des structures habituelles. Trois films rassemblés sous l’intitulé : « Free Cinema ». Momma Don’t Allow de Tony Richardson et Karel Reisz, O Dreamland de Lindsay Anderson et Together de Lorenza Mazzetti. Trois films produits indépendamment les uns des autres, mais qu’une même volonté éthique réunissait, unifiés par un manifeste. Celui de rompre avec les conventions d’un cinéma britannique, qu’il soit documentaire et à plus forte raison de fiction, que ces jeunes cinéastes considéraient engoncé dans son establishment. Et en effet, en ce mois de février 1956, le cinéma britannique se découvrit un nouveau cinéma. Un cinéma décidé à montrer ce que le cinéma établi avait alors pour habitude de taire : la réalité sociale, les petites gens, la vraie vie. Sortir des studios et descendre dans la rue. Un cinéma révolutionnaire qui revendique dans son manifeste le droit à l’imperfection au nom de l’approche personnelle. Ce qui compte, c’est ce que l’on regarde et comment on le regarde : « une attitude veut dire un style. Un style veut dire une attitude », signaient alors les quatre cinéastes.
De 1956 à 1959, cinq autres programmes « Free Cinema » (dont trois consacrés à des productions étrangères, américaines, polonaises et françaises) seront présentés, donnant le jour à un véritable mouvement cinématographique.
Des films quasiment amateurs, tournés pour quelques centaines de livres, par une équipe ultra réduite. Un groupe de cinéastes : John Fletcher et Walter Lassally au son et à la photographie, et des jeunes gens en colère venus, pour le noyau dur, de la critique : Lindsay Anderson (fondateur de la revue Sequence), Karel Reisz et Tony Richardson. Un groupe en quête de liberté d’expression et qui a fait de son manque de moyens un moyen d’expression. Une culture de la pauvreté pour establishment en ligne de mire. 16 mm et son non synchrone pour armes. Tout est dans l’art de les utiliser. Le 16 mm et l’arrivée de pellicules ultra-sensibles permettent de tourner avec très peu de moyens. Le son, post-synchronisé mais rompant avec le traditionnel commentaire en voix off, est travaillé et donné comme un contrepoint critique. Et c’est la Grande-Bretagne populaire qui fait entendre sa voix. Mais si le Free Cinema peut se caractériser par ses accents contestataires et ses méthodes de cinéma guérilla, il s’impose également par sa forme poétique. En s’engageant sur la voie de la réalité sociale, il parvient à sculpter des poèmes dans la matière brute du réel. Il fait du réel un poème. Il invente une poésie du réel. En cela il s’inscrit dans la lignée du documentariste Humphrey Jennings et davantage même, par sa soif de liberté, dans celle de Jean Vigo.
Le Free Cinema, à proprement parler, n’est pas plus que ces six programmes (principalement les trois programmes anglais) présentés au public entre 1956 et 1959. Il est aussi le creuset de la Nouvelle Vague britannique qui en sera le prolongement, emmenée par les mêmes Tony Richardson, Karel Reisz et Lindsay Anderson, auxquels il faut ajouter John Schlesinger, quand ils passeront au long métrage de fiction au début des années 1960, s’associant au mouvement littéraire et tout aussi contestataire des « Angry Young Men » (notamment John Osborne avec qui Tony Richardson monte une société de production, la Woodfall) pour tourner de véritables FREEctions. Une Nouvelle Vague qui sera vite submergée par le Swinging London, mais dont l’influence sur le cinéma britannique est restée profonde (Alan Clarke, Stephen Frears, Ken Loach…).
C’est donc un cinéma engagé que nous vous invitons à découvrir avec cette programmation. Un mouvement contestataire qui est aussi un mouvement cinématographique, et l’inverse. On pourra y voir les trois programmes « Free Cinema ». Le premier de février 1956. Le programme 3, sous-titré Look at Britain, présenté en mai 1957. Et le programme 6, The Last Free Cinema, datant de mars 1959. Pour en saisir les racines, ils seront accompagnés d’un programme de courts métrages de l’école documentaire, développée à partir des années 1930 par John Grierson et contre laquelle le Free Cinema se révolte, et d’un programme de courts métrages documentaires d’Humphrey Jennings, dans lequel au contraire le mouvement trouve une source d’inspiration. Du Free avant le Free. Dans cette optique, nous vous proposerons également deux fictions de longs métrages, Il pleut toujours le dimanche (1947) de Robert Hamer et Les Chemins de la haute ville (1959) de Jack Clayton, qui, si elles n’ont rien du Free Cinema, peuvent laisser entrevoir les prémices de la Nouvelle Vague qui en découlera. Et justement, last but not least, Free après le Free, comment résister aux films les plus représentatifs de la Nouvelle Vague britannique qui ont vu une nouvelle génération d’acteurs s’affirmer (Albert Finney, Tom Courtenay…) et les cinéastes du Free Cinema s’imposer définitivement jusqu’à devenir mondialement reconnus et plus ou moins commerciaux. De quoi revenir en tout cas sur quelques idées reçues concernant le cinéma anglais.
Franck Lubet, responsable de la programmation