Dario Argento
Une lame de couteau scintillant dans une main gantée de cuir, avant de s’enfoncer dans le corps d’une femme ridée d’effroi, jusqu’à l’obtention d’une flaque de sang de gouache au son d’une comptine pour enfants. Le sadisme et le fétichisme, l’horreur et la couleur, la peinture et la musique. Y a-t-il davantage à dire ? Tout a déjà été écrit du cinéma de Dario Argento, détaillé, décortiqué dans les moindres symboles, analysé et étudié dans les universités ; autopsié comme un cadavre. Ou plutôt, disséqué comme un animal soumis à une vivisection. Parce que c’est un cinéma toujours vivant ; bien qu’il s’agisse d’un cinéma de mort. Un cinéma vivace qui a fini par contaminer tout le cinéma. Un cinéma de genre des 70’s qu’il est impératif de connaître pour comprendre le cinéma d’auteur d’aujourd’hui. L’ultime référence et la pierre de rosette de la jeune génération de cinéastes. It’s alive ! Comme dirait un fameux docteur obsédé de donner vie à des chairs mortes. It’s alive ! Et il s’est échappé. Et il nous échappe encore.
Dario Argento, c’est pour commencer le maître du cinéma d’horreur italien et le maestro du giallo, ce genre transalpin de polar érotico-sadique. Dario Argento, c’est d’abord l’héritier de Mario Bava dont il prolonge jusqu’à l’abstrait les expériences picturales commencées dans le cinéma de genre des années 1960. C’est aussi le « neveu » de Sergio Leone avec qui (ainsi que Bertolucci) il écrit le sujet de Il était une fois dans l’Ouest, et dont on retrouve le style opératique dans ses propres films. C’est enfin le côté obscur d’Antonioni. Antonioni le grand architecte du cinéma, le dessinateur industriel qui organise les lignes du vide et l’ésotérique qui révèle une autre réalité que celle qui est à l’image. L’Antonioni de Blow Up dont le cinéma d’Argento creuse l’enquête sur le mystère des images. À commencer par Profondo rosso au générique duquel on retrouve David Hemmings et des images arrêtées, en mode photographie. L’agrandissement d’une photo chez Antonioni, une fresque sous du plâtre à gratter chez Argento. À la différence que, si Antonioni interroge le point de vue du spectateur, Argento l’enferme dans sa position de regardeur / voyeur (la cage de verre dans L’Oiseau au plumage de cristal ou les aiguilles sur les paupières dans Opéra), moins pour contenter le regard sadique du spectateur dans un effet de catharsis mis en abîme, que pour assouvir le propre sadisme du metteur en scène qui impose à son spectateur non plus un regard, mais de regarder. De le regarder tuer (les inserts de mains de tueur sont ses propres mains). C’est ainsi que nous sommes passés d’une image peut-être témoin d’un meurtre à un cinéma assassin (voir également, dans l’Extrême CinémaThèque, Démons de Lamberto Bava, le fils de Mario, produit et écrit par Argento). L’image pourrait renfermer un crime chez Antonioni. Elle est criminelle chez Argento. Et c’est ainsi que nous sommes passés de la modernité à la postmodernité.
Franck Lubet, responsable de la programmation
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