Ulrike Ottinger
Figure de proue du cinéma d’avant-garde allemand et féministe de la première heure, hommage à une cinéaste hors du commun qui n’en finit pas de secouer le cinéma depuis le début des années 1970.
Nous avons déjà programmé occasionnellement de ses films – dans le cadre de programmations thématiques ou de soirées événementielles – mais nous n’avions jamais proposé une rétrospective de l’ensemble de son œuvre pour elle-même. Peut-être parce que son cinéma semblait trop balisé « avant-garde », « féministe », et que cela finissait par le confiner aux centres d’art contemporain et aux soirées ou festivals LGBT. Peut-être aussi parce que tout simplement, tout en semblant tout étiqueté, c’est un cinéma qui n’en finit pas d’échapper aux tiroirs dans lesquels on ne peut s’empêcher de vouloir enfermer les films ou/et leurs auteur.e.s ; et que se dérobant à tout critère, il paraît difficile à défendre auprès d’une large audience, comme réservé à une élite et à montrer avec parcimonie. Telle l’argenterie que l’on sort pour certaines occasions. Sauf que le cinéma d’Ulrike Ottinger vaut plus que de la vaisselle, tenant davantage du diamant. Solitaire, tant il est éclat et unique. Autant de raisons qui font justement qu’une rétrospective s’imposait. Autant de raisons qui en font un cinéma passionnant à partager.
Plongée dans un univers étrange et beau qui se donne comme de la peinture et des sons. Une suite de tableaux en guise de narration. Et la transgression pour fond de toile. Velasquez pop, Ulrike Ottinger dépeint moins le monde à travers le cinéma qu’elle ne peint un monde transfiguré par son regard. Un monde tel une fête foraine décadente dans laquelle des personnages de contes saisis en portrait cherchent à trouver refuge. Un monde baroque où le simulacre retrouve sa fonction antique : la représentation d’un possible mythe. Jumelle d’un Paradjanov / Jodorowski siamois, elle crée d’iconoclastes icônes, fantômes ou phantasmes, qui inventent un nouveau réel. Un réel qu’elle n’hésite pas à bousculer en allant le chercher à travers le documentaire, jonglant avec les genres cinématographiques, documentaire et fiction, comme avec les sexes, féminin et masculin. Transgenre.
Qu’elle filme la chute du mur de Berlin ou la manipulation d’un Dorian Gray par des médias mabusiens, qu’elle parte à la recherche de Juifs exilés à Shanghai ou qu’elle envoie Delphine Seyrig à la rencontre d’Amazones mongoles, qu’elle s’enfonce dans le pays de la neige en mode Kabuki ou qu’elle nous offre une odyssée du monde complètement dingue à travers le temps, ou qu’elle nous entraîne avec amusement dans un célèbre parc d’attractions viennois sans ticket de retour, c’est toujours à un voyage vers le fabuleux qu’elle nous invite. Un poème surréaliste peut-être, en apparence. Un voyage écrit par une poétesse shaman, certainement. Initiatique.
Franck Lubet, responsable de la programmation
En partenariat avec le Goethe-Institut dans le cadre de la Semaine franco-allemande (19 janvier-2 février 2019).