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Spike Lee

Du samedi 01 juin 2019
au samedi 29 juin 2019


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Ayant l’habitude de se donner des rôles secondaires dans la majorité de ses films, c’est un visage qui nous est familier. Des yeux qu’il porte à la manière de Droopy et qu’il cercle de lunettes imposantes et colorées comme pour souligner ses traits d’éternel adolescent. Des couleurs chaudes et pétantes dont il se pare comme une pop star et cet air juvénile qui le rendrait inoffensif aux yeux de qui le découvrirait pour la première fois. Un enfant de chœur, quelque peu espiègle, à qui l’on donnerait le bon Dieu sans confession. Un enfant de cœur plutôt, mais qui n’a rien du gendre idéal. Car cet air las qu’affichent ses yeux cache un regard perçant. Ces couleurs flash qu’il affirme rehaussent le noir qu’il revendique. Et son air juvénile garde intact l’esprit de révolte qui anime les ados. Que l’on se souvienne de Do the Right Thing : c’est lui qui jette la poubelle dans la vitrine, déclenchant l’émeute. Tout entier voué à la cause afro-américaine, il en est à la fois le porte-voix et celui qui porte un regard – souvent acerbe – sur sa communauté. Une étincelle et une flamme qui embrasent et qui éclairent. Un poing dressé qui tape sur la table, à la fois Black Power et Fight the Power. Plus fort que la Blaxpoitation, il est la Blaxplosion. L’explosion d’une voix qui a su imposer dans les années 1980 un son et un ton nouveaux dans un cinéma américain peu enclin à donner la parole aux Noirs. Une parole qu’il a prise sans attendre qu’on la lui donne, sans la permission de Blancs – à une époque où l’on ne pouvait même pas imaginer qu’un Noir puisse être élu président des États-Unis d’Amérique – et sans compromis. Une voix indépendante qui résonne depuis un héritage marqué aux fers : producteur de ses films depuis ses débuts, pour en rester maître, sa boîte de production se nomme Forty Acres and A Mule Filmworks, en référence aux quarante acres de terre et une mule promis aux esclaves affranchis en dédommagement de leurs années d’esclavage. La voix de l’Amérique noire. Ou le point de vue noir sur l’Amérique et son histoire. La voix du cauchemar – car comme il dit : « le rêve américain, nous vivons son cauchemar tous les jours ». Spike Lee est un cinéaste engagé, politiquement et socialement. Son cinéma, abrasif, tient du brûlot – offensif, plutôt qu’agressif, basé sur un principe d’auto-défense plutôt que sur l’agression (position qu’il défend dans Malcolm X). Un cinéaste engagé contre la discrimination et la violence faites aux Noirs par les Blancs. Engagé, il pose son regard sur la communauté noire elle-même et ses relations avec les autres communautés (WASP, italienne, sud-américaine…). Un regard, cependant, plus moraliste que militant (excepté dans ses documentaires). Nola Darling n’en fait qu’à sa tête, tout en dessinant le portrait d’une jeune fille libérée, dresse celui peu flatteur de ses amants. School Daze pointe du doigt, sur fond de comédie musicale, la discrimination entre Noirs plus ou moins noirs. Jungle Fever pose le problème de rejet par leurs communautés respectives dont sont victimes un Afro-américain et une Italo-américaine amoureux. Do the Right Thing saisit la mécanique qui mène à une émeute raciale au sein d’un quartier. Clockers travaille la violence autodestructrice engendrée par le trafic de drogue (et les jeux vidéo…). The Very Black Show épingle la représentation des Noirs que donne la télévision blanche et ceux, noirs, qui y participent… Spike Lee scrute. Spike Lee gratte. Spike Lee dénonce. Il est aussi très attaché à l’histoire et à la culture afro-américaine : Malcolm X, portrait du leader charismatique assassiné en 1965, Get on the Bus, qui retrace la Million Man March, Miracle à Santa-Anna, sur la place des GI’s noirs durant la Seconde Guerre mondiale, Mo’ Better Blues et le jazz, ou encore sur sa propre histoire avec Crooklyn, son film le plus autobiographique. Ce qui ne l’empêche pas non plus d’aller sur des terres plus scorsesiennes avec Summer of Sam et La 25e Heure, ou manniennes avec Inside Man, voire hollywoodiennes dans l’exercice préféré de la Mecque du cinéma – le remake – avec Old Boy, histoire de montrer qu’il maîtrise toute la palette du cinéma et qu’il ne faudrait pas l’enfermer sous l’étiquette d’un cinéma indépendant noir et new-yorkais. Spike Lee sait tout faire et a tout fait : comédie, romantique, musicale ou grinçante, drame, biopic, thriller, polar, film de guerre, film musical, reconstitution historique… Le tout toujours marqué, et c’est là le principe premier et permanent de son cinéma, par un intérêt pour la communauté, à la manière de ce que l’on appelle le film choral : un ensemble de personnes amenées à vivre ensemble dans un lieu, un quartier, un groupe à un moment donné. Une approche entomologiste qu’il aborde avec une caméra extrêmement mobile, presque aérienne, voire musicale. Comme si son écriture – et elle a fortement influencé l’esthétique du clip de la fin des années 1980, début années 1990 (il en a réalisé lui-même pour Michael Jackson ou Public Enemy) – trouvait sa source dans la comédie musicale. Une signature à laquelle il faut ajouter, comme une formule rhétorique qui lui est propre, la récurrence d’un plan en mouvement où un personnage semble flotter. De même que cet art du générique qu’il possède parfaitement et qu’il utilise en contre-point percutant (le passage à tabac de Rodney King sur fond de drapeau américain qui brûle pour celui de Malcolm X) pour nous ouvrir les yeux sur ce qui va suivre à la manière dont un personnage hurle à la fin de School Daze : Wake up ! Wake up ! Wake up ! Bref, un cinéma qui réveille.

Franck Lubet, responsable de la programmation

Retrouvez le cycle Spike Lee sur les ondes de Campus FM Toulouse (94 MHz).