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Jean-Daniel Pollet

Du mardi 18 février 2020
au mercredi 18 mars 2020


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Jean-Daniel Pollet
Les cercles du poète retrouvé

« Il a commencé par où je finis », disait de lui Godard au début des années 2010, alors qu’il revenait sur Méditerranée dans JDP / JLG, un film dont il avait saisi la nature secrète dès 1964. Film fondamental dont on ne saura jamais définitivement sonder les mystères. Film inépuisable. Film auquel il faut revenir sans cesse. Matrice du cinéma moderne. Du cinéma tout court. Inégalée. Peut-être parce qu’elle naît de temps révolus. Un film creuset. De l’humanité. Du monde avant l’humanité. Et du monde après l’humanité. « C’est à nous maintenant de savoir retrouver l’espace que seul le cinéma sait transformer en temps perdu », continuait Godard dans son texte de 1964. Des temps perdus, immémoriaux. D’une mémoire qui remonte plus loin. À l’Antiquité. Avant. À avant l’image. Il a commencé par où je finis, disait Godard de Pollet. C’est dire. Il a commencé de loin. En avance toujours. Méditerranée est un film fondement. Ce film fondement d’un cinéma fonderie. Celui, unique, de Pollet. Un cinéma où fusionnent les éléments. Un cinéma qui casse les moules pour qu’apparaissent des formes, nouvelles et pourtant ancestrales. « Les mêmes images qui insistent, qui reviennent d’une autre façon », disait le personnage de Tu imagines Robinson. Un cinéma de gestes, répétés, travaillés. Un cinéma de la forge – La Forge étant le sous-titre de Pour mémoire. Pour mémoire justement. Pollet naît en 1936 et mourra en 2004. Il tourne son premier film, Pourvu qu’on ait l’ivresse…, pendant son service militaire au Service Cinématographique des Armées (1956-57), en douce, en empruntant le matériel. Quelque chose de la contrebande. De la contre-bande plutôt, puisque Pollet a toujours tourné des bandes à part. La Nouvelle Vague était sur le point de déferler quand le film remporte le prix du meilleur court métrage au festival de Venise 1958. Pourtant Pollet ne se considérera jamais de la Nouvelle Vague. Un cadet. 1959-60, il se lance dans son premier long métrage : La Ligne de mire. Un film mort-né, qui restera dans les limbes. Un échec qui, dit-on, le pousse sur la rive de l’essai. Car on distingue généralement deux versants à l’œuvre de Pollet. Les essais, documentaires, poétiques : Méditerranée (1963), L’Ordre (1973), Pour mémoire (1980), Contretemps (1988), Trois jours en Grèce (1990), Dieu sait quoi (1993)… et la fiction : la veine Melki, comédies légères où le burlesque se fait lunaire (Pourvu qu’on est l’ivresse…, Gala (1961), Rue Saint-Denis (1964), L’amour c’est gai, l’amour c’est triste (1968), L’Acrobate (1975)) et le conte, la fable (Le Horla (1966), Tu imagines Robinson (1967), Le Sang (1971)). Deux parallèles ? Comme les rails d’une ligne de chemin de fer qu’il a tant filmés et qui ont essayé de le tuer (il est happé par un train en 1989 alors qu’il filmait une voie ferrée, lui infligeant de lourdes séquelles) ? Comme les rails des travellings, surtout, qui sont le mouvement premier de son cinéma et qui embrasse un tout. Circulant. Circulaire. Où ce qui pourrait être de la réalité est ce que l’on appelait il y a deux cents ans un conte philosophique. Où ce qui serait un rêve est installé maintenant dans ce qui pose pour la réalité. De la mire, de la ligne. De la rime. De la manière de circuler dans un hors-là qui est aussi un hors-temps. Perdu dans les limbes, La Ligne de mire réunissait ces deux versants que l’on découvrira désormais indissociables. Unifiés par le style Pollet, une écriture de la circularité et de la scansion. Des lieux clos comme des îles. Espace de répétitions qui trouve le rythme cyclique d’une éternité. Répétition du cycle Melki qui fait série. Répétitions de mêmes plans à l’intérieur du récit, faisant récit comme des leitmotivs ou un mantra. Réemploi de plans pour donner un autre film somme (Contretemps). Plans de films précédents encastrés en mise en abîme dans le cadre d’un nouveau (Dieu sait quoi). Etc. Le cinéma de Pollet est un enchevêtrement. Un agencement de signes qui nous amène à regarder au-delà du visible. « Dans une situation de réveil impossible où les yeux ouverts ne verraient pas ce qui devrait être là », dira encore Tu imagines Robinson. On pourra penser aux Ruines circulaires de Borges. « Tu quittes la fiction sachant que cette fois encore tu resteras à l’intérieur du cercle que la fiction a tracé » : toujours Tu Imagines Robinson. On pourra aussi penser à L’Invention de Morel (Bioy Casares). Projection d’une possible immortalité parce que l’on est revenu au mythe. Au cycle. À la circularité. À une perpétuité. Le train qui l’a fauché était-il celui d’une vue de Lumière, jalouse de ce Diogène qui promenait sa caméra, comme le cynique sa lanterne en plein jour, à le recherche du cinéma ? Il a fini par le clouer chez lui. Mais même fixé, privé du mouvement, Pollet fera son ultime film (monté après sa mort par Jean-Paul Fargier) en images fixes. Fixant de son regard des images toujours au-delà des images. « On regarde les choses comme si on regardait un mur, mais on veut regarder derrière le mur. Et on ne sait pas s’il y a quelque chose derrière le mur. », disait Van der Keuken. Pollet a ramené les choses de derrière le mur. Tel cet Orphée dont parlait Godard en 1964. Revenu de parmi les mots plus que des morts. Retrouver Pollet aujourd’hui, c’est retrouver le poète qui nous guide dans une zone mystérieuse, tel le stalker avec ces écrous, en lançant des galets qui tracent le chemin. Ces galets sont ses films. Suivons-les.

Franck Lubet, responsable de la programmation

En partenariat avec La Traverse

La Traverse distribue en salles à partir du 18 mars 2020 la rétrospective Pollet retrouvé, 22 films de Jean-Daniel Pollet, avec le soutien du Centre national du cinéma et de l’image animée.
La plupart des films de la rétrospective sont restaurés par La Traverse avec le soutien du Centre national du cinéma et de l’image animée / Travaux de restauration réalisés par Cosmodigital et L.E. Diapason.

Rétrospective Jean-Daniel Pollet à La Cinémathèque française du 12 au 29 mars 2020

La rétrospective Jean-Daniel Pollet est accompagnée de deux expositions – dont une en partenariat avec Ombres Blanches réalisées à partir de documents issus des collections de la Cinémathèque de Toulouse et de deux boucles sur écran présentées par les Rencontres internationales Traverse.