Sorcières !
Qu’on se le dise, les sorcières ne sont pas fantasmagorie. Elles ont bien existé. Pour preuve, ces procès qui ont émaillé le Moyen Âge et la Renaissance, voire plus. De Jeanne de Brigue en 1390 (premier procès français en sorcellerie), condamnée au bûcher pour avoir usé de sortilèges afin d’amener à l’épouser l’homme qui la refusait pour femme tout en étant père de ses enfants, à Jeanne Bédouret, en 1856, brûlée dans un four à pain par un couple des Hautes-Pyrénées qui la soupçonnait de jeter des sorts et notamment d’avoir empoisonné leur fille avec une pomme… Croque. Croque maintenant. Croquemitaine. Les sorcières font peur et pas seulement aux enfants. Heureusement, le très sérieux – et tout aussi édifiant – Malleus Maleficarum, véritable traité de misogynie écrit par des dominicains démonologues et publié en 1486, nous donne les clés pour les démasquer. Et les neutraliser. Craquent, craquent les corps dans les flammes. Craquent, craquent les corps de femmes. Les sorcières ont bien existé puisque des dizaines de milliers ont été brûlées au cours des siècles, majoritairement aux XVIe et XVIIe siècles. Elles existent encore puisque avant d’être sorcières elles sont surtout femmes. Car il s’agit bien d’une histoire de femmes, de la féminité oppressée par un ordre phallocrate et du féminisme qui se dresse contre cet ordre, symbole de rébellion et de persécution né de la figure de Lilith, première femme d’Adam qui refusa de se soumettre à celui-ci ; bouc émissaire d’enjeux de pouvoir (Église, État, corps médical s’établissant sur le dos des guérisseuses…) attisés par les superstitions. Lire, pour plus de précisions, Sorcières, la puissance invaincue des femmes de Mona Chollet et Les Sorcières, une histoire de femmes de Céline du Chéné, en commençant par La Sorcière de Jules Michelet. Du mythe à la réalité, et de la réalité au mythe, il s’agit aussi d’une histoire de représentation(s), sociétale(s) et culturelle(s), et vice versa. Et le cinéma, comme la littérature et la peinture avant lui, n’aura pas échappé à l’ensorcellement, qu’il en prolonge l’imagerie d’Épinal, qu’il la dénonce ou qu’il la recompose. Différents types de femmes, qui ont donné lieu aux stéréotypes de la figure de la sorcière, ont été victimes de la chasse aux sorcières : la vieille femme isolée ou la jeune femme séduisante voire fatale, en tout cas célibataire, libérée ainsi que l’on disait dans les années 1980, maîtresse de son corps et de ses désirs, la femme indépendante, ou encore la femme savante, guérisseuse et sage-femme. Ce sont ces mêmes figures que l’on retrouve dans le cinéma. Passées au filtre, ou gaze si vous préférez, d’un septième art majoritairement masculin, trahissent-elles le regard d’une société patriarcale, projection des désirs et des craintes de l’homme envers la femme ? C’est la question que se pose cette programmation – même s’il est délicat d’envisager tout film avec une seule grille de lecture, d’autant que nous croiserons ici différents genres cinématographiques : comédie, film d’horreur, musical, dessin animé, film historique, conte. Le point récurrent étant le désir et la sexualité – les traits de la méchante reine/sorcière de Blanche-Neige et les Sept Nains, avant qu’elle n’arbore verrue et nez crochu, n’étaient-ils pas inspirés de ceux de Joan Crawford ? Sexualité et dualité : bonne et mauvaise sorcières du Magicien d’Oz, Barbara Steele incarnant à la fois la sadique sorcière du Masque du démon et sa fragile descendante, personnage changeant d’apparences (The Witch, Le Renne blanc, Excalibur)… Dualité. Un signe de duplicité ? De duperie ? Ou bien est-ce l’homme qui se dupe lui-même, prisonnier d’une morale dont il laisse payer le prix à la gent féminine ? Ainsi Le Moine et la Sorcière, qui cherche en une guérisseuse le bouc émissaire de ses propres fautes. Ainsi le fils du pasteur qui abandonne au bûcher par lâcheté celle qu’il a séduite dans Dies Irae… Alors la sorcière doit renoncer à ses pouvoirs pour devenir bien aimée au foyer (Ma femme est une sorcière, La Sorcière, L’Adorable Voisine), rentrée dans l’ordre après l’avoir renversé de son art du chaos. Ou bien est-elle amenée à se révéler (The Witch) et à se jouer d’un homme diabolisé (Les Sorcières d’Eastwick) ? Et peut-être, en se libérant, le libèrera-t-elle lui (La Sorcière de Bellocchio) ? Miroir de la société, la sorcière en est aussi une métaphore à des degrés différents : Les Sorcières de Salem et le maccarthysme, The Witch et la paranoïa obscurantiste qui gagne le monde depuis les années 2000, Jusqu’en enfer et la crise financière de 2008, I Am Not a Witch et la manipulation politique… La métaphore d’une minorité dénoncée et persécutée parce qu’elle pense différemment de la majorité. La métaphore de rapports de force dominants / dominés. Le désir de transgression de cet ordre et la répression de ce désir. Et pourquoi pas la révolte. Même si, atavisme (?), comme l’anarchiste la sorcière gagne rarement à la fin. Ce qui en fait désormais un personnage romantique et, paradoxalement (vu ce que les bonnes moeurs pouvaient lui reprocher), non corrompu. Une figure populaire qui dit beaucoup de nos sociétés et qui a encore de belles pages de grimoire à remplir.
FRANCK LUBET, RESPONSABLE DE LA PROGRAMMATION
En partenariat avec Bibliothèque de Toulouse, Culturopoing, France Culture, Occitanie Livre et Lecture, Sueurs Froides