Maria Augusta Ramos
Maria Augusta Ramos
Primé aux festivals de Berlin et Visions du Réel (mais pas seulement) en 2018, O Processo (Le Procès), qui nous entraîne dans les coulisses de la procédure de destitution de Dilma Rousseff, aura marqué l’année 2018, autant que l’élection de Jair Bolsonaro quelques mois plus tard de cette même année. C’est que Maria Augusta Ramos nous plongeait au cœur d’une machine politique qui avait tous les attributs d’un drame. Celui de la démocratie. Une tragédie même, tant cela ressemble à une fiction : on y voit, hallucinant, Bolsonaro réclamer au Parlement la destitution de Rousseff au nom du Colonel Ustra, tortionnaire de la junte militaire qui l’avait torturée ! Décidément, la réalité toujours dépassera la fiction. O Processo est la pierre de Rosette qui permet de comprendre comment le Brésil a pu basculer dans un conservatisme qui convoque ses plus noires années. Le film marque par son actualité. Par son acuité surtout. Mais Maria Ramos n’en était pas à son coup d’essai. Déjà Futuro Junho sorti en 2015 saisissait un premier point de bascule, sociale celle-ci, en suivant quatre personnages à la veille de la Coupe du monde de 2014 : un analyste financier, un employé de métro syndiqué, un ouvrier d’une usine automobile et un coursier. Quatre trajectoires qui, sans être amenées à se croiser, donnent une vision kaléidoscopique de la crise économique et sociale qui déjà faisait plus que menacer le pays. Maria Ramos a l’œil. Un regard perçant qu’elle pose sur la société brésilienne et ses institutions. Institutions politiques, judiciaires et policières. Ainsi avec Justiça (2004) elle suivait le procès de jeunes délinquants face à leurs juges et ces juges face aux délinquants, des deux côtés, car son cinéma n’a rien de partial. Il donne les moyens d’essayer de comprendre les situations. Juízo (2007) allait plus loin dans cette même veine en observant le traitement judiciaire de mineurs. Quant à Morro dos Prazeres (2013), il nous plongeait dans le quotidien d’une favela, « La colline des plaisirs », investie par une unité spéciale de la police. Maria Ramos y suit de nouveau plusieurs personnes, donnant à découvrir finalement davantage des portraits d’hommes et de femmes dans leur vivre ensemble qu’une mécanique institutionnelle. Et c’est bien là que son cinéma se distingue de celui d’un Frederick Wiseman, par exemple, auquel on ne manquera pas de penser de prime abord : filmer au cœur des institutions, pas de voix off, pas d’interview. Un cinéma d’observation bien que Maria Ramos semble davantage scruter qu’observer. Il y a un sentiment de mise en scène qui se dégage paradoxalement de son cinéma. Paradoxalement, parce que l’on parle ici de cinéma documentaire. Un sentiment qui passe par un sens du cadre très sûr, photographique, profondément cinématographique, et une maîtrise de la durée du plan. Un sens du plan plus proche de celui de Chantal Akerman que de celui de Wiseman. Un sentiment qui passe aussi par le montage, très imbriqué, attaché à suivre en alterné des personnes / personnages dans une structure de film choral. En regardant Futuro Junho ou Morro dos Prazeres, par exemple, on se surprend même à attendre le « truc » scénaristique qui fera basculer le film dans le drame. Tous les ingrédients sont là, les personnages, la tension, ne manque plus que le coup de pouce de la fiction. L’un pourrait être un drame réaliste, l’autre un film policier sur le mode de la chronique. Juízo, un film de prison. Seca (qui contient des parties fictionnées), film sur la sècheresse au Sertão, pourrait être un western. O Processo, un thriller politique paranoïaque. Maria Augusta Ramos possède un véritable art de la mise en scène. Et il est d’autant plus fort qu’elle travaille avec un matériau du réel. Avec le réel. Devrions-nous dire qu’elle travaille sur le réel ? Peut-être, tant son cinéma, contrairement aux premières impressions, dépasse la seule notion d’observation d’une réalité, pas pour la sublimer, mais pour lui donner une véritable incarnation. Une incarnation qui est d’abord son regard. Un regard sur la société brésilienne, bien sûr, mais un regard qui embrasse aussi le cinéma. Tout le cinéma. Ses films font tomber les barrières archaïques qui voudraient que l’on oppose toujours documentaire et fiction. On y découvre une écriture documentaire qui maîtrise totalement la grammaire de la fiction. Un cinéma qui nous confirme, s’il en était encore besoin, qu’une véritable écriture cinématographique dépasse les notions de doc ou fiction. Il y a du bon cinéma ou du mauvais cinéma. Celui de Maria Augusta Ramos est du meilleur.
Franck Lubet, responsable de la programmation
En coproduction avec Cinélatino et en partenariat avec DOC-Cévennes et la Cinémathèque du documentaire