Renato Berta
« Sur un film, les options que je prends en matière de lumière ne sont presque jamais strictement photographiques. Elles naissent des contraintes, des circonstances, et surtout de la cohérence du film concerné… Quand on fait des choix strictement photographiques, ils servent rarement les films. C’est terrible à dire, mais j’en suis convaincu. C’est pourquoi je suis toujours heurté quand on dit que tel film n’est pas terrible, mais que sa photo est formidable. Je sais que j’ai fait des films dont la photo était supérieure au film lui-même et c’est une erreur. Ça signifie que la photo écrase le film et qu’il y a un problème de cohérence. Quand on regarde un film, on ne devrait pas faire attention à la photo. Dans un film, la photo ne doit pas se faire remarquer davantage que les décors, les costumes et les autres éléments de l’œuvre. Car ce qui fait la réussite d’une photographie, c’est la cohérence avec l’ensemble du film. Et ce qui fait la réussite d’un film, c’est sa cohérence d’ensemble. Pendant la préparation d’un film, je ne parle que de ça, de cohérence. Sinon, je peux faire plein d’effets, avec du jaune, du rouge… tout ce qu’il faut pour que ce soit “joli”, mais ce n’est pas très intéressant. Ce qui l’est bien plus, c’est de comprendre le film qu’on est en train de faire. » Il s’agit là d’une réflexion de Renato Berta tirée de son ouvrage, Photogrammes (Grasset, octobre 2021) coécrit avec Jean-Marie Charuau. On aurait pu aussi en extraire : « La bonne couleur pour tel ou tel plan, on ne la trouve pas forcément dans la peinture, mais parfois dans une flaque de vomi sur le coin d’un trottoir ». Ou bien d’autres, tant le livre fourmille de ces réflexions sur ce qu’est le cinéma selon Renato Berta, et ce qui fait un bon film : le plan, le réel et ce qui interroge.
Renato Berta est directeur de la photographie, même s’il n’aime pas le mot, lui préférant opérateur, pas même chef-opérateur. Il en est pourtant un des plus grands noms du cinéma contemporain. Il est originaire du Tessin, en Suisse, et a appris le métier, disons, de preneur de vues, à l’École de Rome à Cinecittà dans le mitan des années 1960. Couronné, entre autres, du César de la meilleure photographie pour Au revoir les enfants de Louis Malle en 1988, il est le compagnon et le témoin d’une certaine idée du cinéma depuis la fin des années 1960 à nos jours. Que l’on en juge par les noms des réalisateurs avec lesquels il a travaillé tout au long de sa carrière, avec plus de cent vingt films à son compteur : Alain Tanner, Daniel Schmid, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, Jean-Luc Godard, Patrice Chéreau, André Téchiné, Jacques Rivette, Éric Rohmer, Alain Resnais, Robert Guédiguian, Claude Chabrol, Amos Gitaï, Manoel de Oliveira, Philippe Garrel… « Un film, c’est d’abord un réalisateur, dira-t-il encore dans Photogrammes. Alors, quand je pense à mon parcours, ce n’est pas tant aux films que je pense qu’aux réalisateurs avec lesquels j’ai travaillé. C’est ce qui me semble le plus intéressant dans mon métier, c’est ce que je retiens : les réalisateurs que j’ai eu la chance de rencontrer, ceux avec lesquels je n’ai jamais cessé d’apprendre ».
La lecture de Photogrammes est passionnante. On y découvre les différentes manières de travailler des uns et des autres. On y devine l’art pragmatique de chercher le bon cadre et trouver la lumière. On y apprend la différence entre faire un film et faire du cinéma. Et l’on comprend que tout film est un nouvel apprentissage, entre ce que l’on sait déjà du cinéma et ce que l’on va devoir inventer parce que le film le demande. Et l’on ressent le désir de revoir les films de ces réalisateurs sur lesquels Renato Berta amène un nouvel éclairage.
Cette rétrospective est le fruit de ce désir. Un désir suscité par une lecture. Le fruit d’une parole. Celle de Renato Berta, simple, magnifiquement simple, comme une position de caméra simple. « Une position de caméra simple, c’est cela qui donne la liberté. Plus c’est simple, plus on domine la machine, plus on est libre. Un plan fixe bien pensé peut être redoutable. Mais ça, les gens ont du mal à l’entendre en général ». À bon entendeurs.
Franck Lubet, responsable de la programmation