Fermer cette fenêtre banner

Patricio Guzmán – Cinélatino

Du mardi 22 mars 2022
au dimanche 03 avril 2022


Voir les projections

Les films de Patricio Guzmán sont une mémoire vive de l’histoire du Chili. L’auteur de Nostalgie de la lumière a consacré le plus gros de son œuvre, quasi-exclusivement documentaire, à interroger les liens de son pays avec son propre passé, hanté par le fantôme de Pinochet, son héritage macabre et son cortège de « disparus ». En tant que partenaires de cette rétrospective, Revus & Corrigés est allé à la rencontre de cet homme dont la carrière éclaire encore considérablement notre contemporain.

Pour commencer, il faut qu’on parle du Chili, du retour de la gauche avec l’élection de Gabriel Boric…

C’est un événement extraordinaire, fantastico ! C’est la génération des années 1980 et 1990 qui se met en place, la gauche reprenant le pouvoir d’une façon démocratique et libre – c’est une évolution importante dans l’histoire du Chili depuis Pinochet. Il n’y a rien eu de comparable depuis Allende. C’est le chapitre numéro 2 de cette révolution chilienne contrariée, et s’ouvrant maintenant à l’horizon du futur. Malgré tous les problèmes qu’il y aura, cela reste magnifique. Après des décennies d’un pays coupé du réel, loin d’être heureux, il y a là un renouveau.

La Bataille du Chili est un travail d’archive et de montage impressionnant qui raconte comment un pays de gauche a sombré dans le fascisme. Vous commencez à tourner neuf mois avant le coup d’État, alors que vous avez déjà tourné trois longs métrages documentaires, sur les élections et le gouvernement d’Allende. Qu’est-ce qui vous pousse à commencer un nouveau documentaire ?

Parmi les films que j’avais déjà réalisés, il y avait La Première Année, que j’ai fait en 1972, sur les douze premiers mois du gouvernement d’Allende. Avec une petite équipe, j’avais suivi toutes les actions qu’Allende entreprenait. C’était une expérience joyeuse, et on a pu montrer le film à beaucoup de personnes au Chili. Chris Marker, qui était à ce moment-là de passage à Santiago, a vu le film et me l’a immédiatement acheté pour le montrer en France. Il a fait réaliser un très bon doublage – car à l’époque c’était dur de proposer un documentaire sous-titré – avec Françoise Arnoul, Yves Montand et Simone Signoret. Après sa sortie en France, Chris Marker l’a envoyé à neuf autres pays européens, puis au Canada. Ça a été fantastico ! Et ça a été un grand cadeau, pour l’équipe du film et pour moi, car jamais on n’aurait pu se douter que ce film, si modeste, voyagerait ainsi. Après ce succès, avec mon équipe, nous préparons La Bataille du Chili. Je me retrouve à écrire à Chris Marker : « Bonjour Chris, je sais que tu nous as déjà aidés, mais j’ai besoin à nouveau de ton aide. Il faut continuer à tourner au Chili, car la situation nécessite un nouveau film, plus profond que La Première Année. Et on a besoin de pellicule. » Et Chris m’a répondu un télégramme de deux lignes : « Je ferai ce que je peux. Salutations, Chris. » En le recevant, on s’est dit que c’était formidable, et qu’en même temps, il ne disait rien. Un mois plus tard, on reçoit 42 000 pieds de film 16 mm. Tout pour tourner, prendre le son également, et même les bandes magnétiques perforées qui sont utiles pour faire le mixage. Ouvrir la boîte à l’aéroport de Santiago a été une des meilleures surprises de ma vie. On a formé une petite équipe de cinq personnes, dont Jorge Müller Silva, le cameraman – qui est mort un an plus tard –, Federico Elton, le directeur de production, Jose Bartolome, l’assistant réalisateur, et Bernardo Menz, l’ingénieur du son. On a ainsi immortalisé la dernière année au pouvoir d’Allende. Le film est passionnant et analytique, ce qui l’a aidé à avoir un succès international énorme : à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes, dans d’autres festivals de France, en Allemagne, aux États-Unis, au Canada, au Japon… D’un côté nous étions heureux d’être à ce point-là reconnus dans tant de festivals du monde ; de l’autre, nous nous sentions très isolés, exilés de notre propre pays, apatrides. Nous étions nomades de festival en festival, sans port d’attache, ce qui a été très douloureux durant ces années-là.

Entretien par Marc Moquin et Eugénie Filho
à lire en entier dans le dernier Revus & Corrigés (n°14 – printemps 2022)

Rétrospective présentée en partenariat avec Cinélatino et Revus & Corrigés