Huis clos
Quand on évoque le huis clos au cinéma, les muscles se tendent invariablement, les yeux se plissent, et les mâchoires se crispent en une moue dubitative. Ne serait-ce pas une manière détournée de parler de films de studio aux relents de théâtre filmé ?… Et dieu sait que théâtre filmé n’est pas une expression qui sonne agréablement aux oreilles d’un cinéphile. Mais on peut aussi se détendre et se laisser revenir en mémoire quelques titres de films qui sonnent comme des actes de bravoure. Et on pourra se souvenir, par exemple, de ce plan dans La Vipère de William Wyler, jouant de la profondeur de champ, où, depuis un salon comme sur une scène de théâtre, Bette Davis, assise face caméra, attend froidement, longuement, que son mari tétanisé par une attaque cardiaque, tentant désespérément de grimper des escaliers dans le fond du décor, s’effondre dans son dos, dans le flou de son arrière plan, avant de se lever d’un bond et de crier au secours dans un semblant de panique. Quel plan, simple, quelle puissance effroyable dans les yeux grands ouverts d’une Bette Davis toute en rage contenue. Quelle force. En un plan. Voilà le genre de choses que l’on peut rencontrer au détour d’un huis clos, tout aussi venu du théâtre soit-il. On peut aussi découvrir un film japonais du début des années 1960 (La Bête élégante) entièrement tourné dans un petit deux pièces, où un cinéaste méconnu, Yûzô Kawashima, fait preuve d’un talent remarquable dans sa mise en scène d’une famille d’escrocs, jouant admirablement de l’exiguïté de l’espace en composant des plans qui tournent par moments au split screen naturel.
Le huis clos pourrait être un genre en soi – et certains sous-genres, comme le film de sous-marin par exemple (voir Das Boot), y sont intimement liés. Il appelle en tout cas, plus largement, comme un accord tacite entre les cinéastes et les spectateurs. Il induit une alliance entre la gageure et l’exercice de style. Il implique un challenge, pour le cinéaste qui le met en scène, et il suscite une attente, pour le spectateur qui le jugera. Plus que l’histoire qu’il raconte, plus que le sujet du film, c’est alors le décor qui importe. Comment s’en sont-ils sortis ? Quels trésors d’imagination ont-ils inventés, scénaristiquement et techniquement, pour ne pas se répéter et tenir en haleine le spectateur ? Il y a comme une promesse avec le huis clos. Celle d’un défi entre le réalisateur et son spectateur – peut-être plus attentif qu’à l’accoutumée à la mise en scène – et le relever, c’est s’exposer, innover, inventer, étonner. On reverra par exemple l’incroyable plan séquence (numérique) du Panic Room de David Fincher, suivant l’effraction des cambrioleurs tout en donnant une vue en coupe de la maison : prouesse technique qui, tout en jouant avec les contraintes de l’espace, le délimite, sans oublier de faire basculer le film dans un climat de huis clos anxiogène. Mais on pourra revoir également, à l’opposé, à l’autre bout du spectre, un film comme Dogville où Lars Von Trier, lui aussi formaliste patenté, dans un dépouillement total, aura réduit le décor à un marquage à la craie sur une scène de théâtre. Sur le papier, le film a la teneur d’une expérimentation, mais à l’écran il affiche la tenue d’un mélodrame sado-maso tel que le Danois en a le secret.
Le huis clos, par les contraintes qu’il implique, ouvre paradoxalement un champ des possibles, comme l’Oulipo par son jeu de contraintes littéraires invite à développer ses capacités créatrices. Cela peut aller du pari de réaliser entièrement un long métrage avec un personnage enfermé dans un cercueil enterré (Buried) à la parabole buñuelienne avec L’Ange exterminateur dont les cadres du huis clos semblent contenir un tableau surréaliste animé. Mais cela ne l’empêche pas pour autant d’être ludique, reprenant par exemple la forme d’un Cluedo : huit femmes ou huit salopards, selon l’humeur ou la sensibilité de chacun et chacune.
Vous l’aurez compris, avec cette programmation de films tournés en huis clos (qui n’est qu’un petit panel de ce que le cinéma a pu produire), c’est à la fois à une réflexion sur la mise en scène des espaces, poussée à son paroxysme par l’usage d’un décor réduit (la place du cadre et des comédiens dans cet espace), que nous vous invitons, et à relever le défi des cinéastes qui s’y sont essayés.
Franck Lubet, responsable de la programmation