Francesco Rosi
Francesco Rosi,
une politique du cinéma
Le cinéma est-il politique ? Doit-il l’être ? Et qu’est-ce que serait un cinéma politique ? Tentative de réponses avec Francesco Rosi, cinéaste napolitain qui a posé les bases grammaticales d’une politique du cinéma ouvrant à un cinéma citoyen. Une manière de faire du cinéma. Une manière de proposer une réflexion sur la société et ses mécanismes – principalement institutionnels – en l’interrogeant à partir de faits divers. Où le film est une enquête sur les arcanes de la société et plus particulièrement de la politique. En quête de vérité. Enquête sur la vérité.
« Si l’on fait une enquête à propos d’un fait divers, on s’aperçoit que ce fait divers offre la possibilité de conduire une analyse profonde sur ses raisons, ses causes, ses conséquences. C’est cela qui a commencé à m’intéresser et j’estime que cette tentative de mettre en relation les causes et les conséquences d’un fait peut être considérée comme mon univers autonome d’auteur, mon style, ma recherche », disait Francesco Rosi.
Partir d’un événement historique pour découvrir l’opacité de la société. Comme on lève un voile. Francesco Rosi ne cherche pas la vérité, il cherche à la comprendre et à composer avec. Formé auprès de Visconti, dont il sera l’assistant, il amènera le réalisme descriptif qui faisait l’essence du néoréalisme vers un réalisme critique. Débordant la chronique pour glisser vers une approche journalistique, ses films se font dossiers.
Dossiers, parce que construits comme tels.
Le cinéma de Francesco Rosi est politique,
par le fond et par la forme.
Il l’est surtout par son sens
et sa conscience de l’Histoire.
Écrits d’abord sur la base d’une documentation conséquente – pour la préparation de Salvatore Giuliano il ira jusqu’à mener des interviews clandestins usant même d’un micro dissimulé dans une montre. La mise en récit proposant ensuite une interprétation à partir des faits et des témoignages récoltés lors de ce travail de documentation. Un point de vue documenté qu’il met en forme tel un film de montage, comme on parle de film d’archives, éclatant la chronologie (Salvatore Giuliano, L’Affaire Mattei ou encore Lucky Luciano) pour faire de chaque séquence un document étayant la construction d’hypothèses à partir desquelles le spectateur peut à son tour arriver à sa propre conclusion.
Dossiers, par ses sujets. La mort suspecte et la mythification d’un bandit sicilien. La spéculation immobilière et la corruption d’un conseil municipal. L’accident / attentat qui a coûté la vie d’un puissant industriel. La Première Guerre mondiale et la conscience de classe. Les motivations d’un capo di tutti capi en exil. La réalisation d’un putsch légal. Etc. Les films de Francesco Rosi interrogent le pouvoir, légal et illégal – et les collusions qu’il peut y avoir entre les deux. Et ils le font sans jamais se départir d’une dialectique de classe, d’une approche matérialiste de l’Histoire. Toujours avec la distance nécessaire à l’analyse.
Le cinéma de Francesco Rosi est politique, par le fond et par la forme. Il l’est surtout par son sens et sa conscience de l’Histoire. Parce que la vérité n’est pas toujours révolutionnaire, comme disait la dernière réplique de Cadavres exquis en écho à Lénine et Gramsci. Ses films raisonnent sur des chapitres de l’Histoire immédiate de l’Italie. Ils résonnent également depuis leurs décades de production : l’Italie d’après-guerre (la Seconde Guerre mondiale), le miracle économique et les années de plomb. Et à les revoir aujourd’hui, on pourra se dire que l’on en a bien besoin par les temps qui courent. Parce que l’Histoire politique bégaie ? Ou parce qu’un tel cinéma semble disparu ? À vous de voir.
Franck Lubet
responsable de la programmation de la Cinémathèque de Toulouse