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Georges Franju

Du jeudi 12 janvier 2023
au jeudi 16 février 2023


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Si la poésie est un réalisme, le réalisme se doit d’être une poétique. Et c’est ainsi que Freddy Buache, le mythique directeur de la Cinémathèque suisse, abordait le cinéma de Franju (cofondateur par ailleurs de la Cinémathèque française en 1936) : « L’artiste soucieux de harponner la réalité tout en capturant du même coup l’arrière-monde qui la constitue, j’entends, celui qui veut rapporter pantelante la réalité dans sa totalité, doit inventer un réalisme supérieur. Celui-ci pourrait être le surréalisme dans sa conception la moins étroite, tel par exemple qu’Aragon le développa dans Le Paysan de Paris. Mais hélas, le surréalisme n’a guère tardé à tourner en rond dans le palais des glaces du lyrisme gratuit. Ce réalisme supérieur pourrait être aussi le réalisme poétique. Malheureusement, cette attitude ne laisse que peu de place au réalisme pour ouvrir largement la fenêtre sur la « poésie », parfois la pire (comme dans Le Grand Meaulnes), parfois la nostalgique – trop nostalgique (comme chez Carné). Franju, lui, tente de combiner le surréalisme avec le réalisme poétique et pour définir son comportement je ne trouve pas d’autre formule que la sienne : le réalisme esthétique. L’un va se dépasser par l’autre à l’intérieur de ce couple où le réalisme ne perdra jamais aucun de ses droits. Le réalisme esthétique de Franju lui permet de précipiter dans la fluence du discours cinématographique une figuration prosaïque sans ambiguïté et la lumière noire de son imagination. Il peut ainsi faire coïncider dans le même phrasé le pamphlet et le poème, et passer sans transition, par retournement instantané du langage, de l’agressivité militante à la tendresse magnifiante. D’où cet “optimisme sans espoir” qui le consume, l’illumine, l’emprisonne dans l’épreuve puis le libère par exorcisme. » (in Georges Franju, poésie et vérité). Georges Franju ou le réalisme à la frange. À la frange du réalisme.

L’insolite se révèle
alors que le fantastique
se fabrique.

Franju est une énigme. Peut-être parce qu’il résout une partie du mystère du cinéma. Parce qu’il (ré)concilie les deux jambes, Méliès et Lumière (la fantaisie, ou fantastique, et le documentaire), sur lesquelles le cinéma s’appuie depuis ses premiers pas. La grande question du cinéma, c’est le reel : la confrontation au réel. Ou comme disait Jean-Louis Comolli : le cinéma doit se heurter au réel. Et le réel résiste. C’est de cette résistance que naît une vision. Franju confronte et affûte la sienne, dans un premier temps, au documentaire de court métrage, essentiellement des commandes qu’il magnifie par sa manière de saisir très frontalement une violence (les abattoirs dans Le Sang des bêtes, le chenil dans Mon chien, le braconnage dans À propos d’une rivière, la guerre dans Hôtel des Invalides…) accrue par le commentaire. La fin de Mon chien, un long travelling sur des cages alors que le commentaire annonce l’extermination de leurs occupants est saisissante dans son évocation de la solution finale sans avoir à la nommer (Nuit et brouillard ne sortira qu’un an plus tard). Franju impose sa vision au sujet, quand on a plutôt tendance, en matière de documentaire, à plébisciter une forme d’objectivité.

Franju ne cherche pas à enregistrer une réalité. Il cherche l’insolite, quand ce n’est pas l’horreur, dans le réel. Et inversement avec la fiction, c’est dans l’insolite qu’il trouve une forme de réalisme. « L’insolite, c’est l’inhabituel, c’est l’anormal, alors que le fantastique c’est l’extraordinaire, dira-t-il. L’insolite se révèle alors que le fantastique se fabrique. Le fantastique, c’est l’évidence et l’insolite c’est la présence. » Cette présence qui se révèle, c’est le réel. Un réel angoissant plus que terrifiant. Un réel qui se manifeste de manière inattendue par l’image. Dans l’image. On peut la prendre comme une image de la terreur. Ou comme la réalité du cinéma qui, finalement, règne par la terreur de l’image. Une question de vision.

Franck Lubet, responsable de la programmation de la Cinémathèque de Toulouse

À lire : « La ligne d’ombre » par Stéphane du Mesnildot (Cahiers du cinéma n° 722)
et « Franju à la racine » par Marcos Uzal (Cahiers du cinéma n° 785), accessibles à l’occasion de ce cycle sur www.cahiersducinema.com

À voir sur le poste de consultation INA accessible en bibliothèque : les films que Georges Franju a réalisés pour la télévision.