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Hommage à Jean-Louis Comolli

Du mardi 31 janvier 2023
au dimanche 05 février 2023


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Jean-Louis Comolli nous a quittés le 19 mai 2022. Et avec sa disparition c’est un des plus grands penseurs français du cinéma que nous avons perdu. Cinéaste, théoricien, critique, romancier, mais également fin amateur de jazz, Jean-Louis Comolli était aussi un ami de longue date de la Cinémathèque de Toulouse. Un véritable compagnon de route. La jovialité de ses éclats de rire et son art lumineux de la digression, qui sans jamais nous perdre nous entraînait dans ce que le cinéma a de plus profond, vont nous manquer. Ils nous manquent déjà.

Arrivé d’Algérie, formé à l’école des ciné-clubs, il entrera au début des années 1960 (jusque dans les années 1970) aux Cahiers du cinéma dont il sera rédacteur en chef de 1966 à 1973, accompagnant le virage maoïste de la revue. Si on ne comprend toujours pas très bien ce que contenait « La suture » de Jean-Pierre Oudart et si la lecture des numéros de la revue de cette époque nécessite plus que jamais d’avoir un dictionnaire du lexique marxiste pour les déchiffrer, les articles « Technique et idéologie » que Jean-Louis Comolli y a publiés restent passionnants dans la manière dont ils abordent politiquement la technique cinématographique. Une ligne – politiser la technique – qu’il développera dans ses ouvrages théoriques ultérieurs : Voir et pouvoir (Verdier, 2004), Cinéma contre spectacle (Verdier, 2009), Corps et cadre (Verdier, 2012), Cinéma, mode d’emploi (de l’argentique au numérique) (Verdier, 2015), Daech, le cinéma et la mort (Verdier, 2016), pour ne citer que quelques titres qui sont autant de références sur le cinéma et le monde.

Tout est fini
et pourtant
tout commence.

Parce qu’avec Comolli tout est cinéma, le cinéma est tout, comme tout est politique. À commencer par la place des interprètes dans le cadre jusqu’à celle des spectateurs dans la salle. Le cinéma, c’est l’affrontement entre contrainte et liberté, dira-t-il. L’affrontement entre le corps et le cadre. Le corps étant du côté de la liberté, échappant au contrôle, alors que le cadre est contrôlé. Et ce rapport entre contrainte et liberté est précisément ce qui définit la place du spectateur. Le cinéma étant cette expérience faite par les spectateurs de la possibilité d’éprouver une liberté à l’intérieur de la contrainte, une impression de liberté alors que tout est déjà achevé, comme si la forme (achevée, parce que le film fini on ne peut rien changer) renaissait au fil de la projection dans un effet de présent. Cette idée qu’au cinéma tout est fini et pourtant tout commence.

Chez Comolli, filmer est une source de questions, et faire un film, c’est filmer cette source de questions. Toujours interroger le sens des images. On le verra dans le très beau film de Ginette Lavigne, Jean-Louis Comolli, filmer pour voir, dans lequel il commente et analyse des images de ses films. Parce qu’il n’y a pas de théorie sans pratique, comme il n’y a pas de pratique sans analyse théorique. Et l’on pourrait dire avec lui que si le cinéma est une relation au monde, le film est la relation. Contrainte et liberté. Où et comment se situer entre l’utopie politique face à ses limites (La Cécilia et L’Ombre rouge, deux fictions) et une realpolitik démystifiée (sa série de documentaires sur plusieurs élections à Marseille) ? Comolli se situait dans la relation.

Il pouvait dire aussi : l’avantage de voir des westerns, c’est que les grandes questions théoriques sont ramenées à des points de pratique directe. Jean-Louis Comolli est mort. Tout est fini et pourtant tout commence.

Franck Lubet, responsable de la programmation de la Cinémathèque de Toulouse

À lire : le dossier hommage à Jean-Louis Comolli, avec « Jean-Louis Comolli ou les beaux jours » par Jean Narboni, « Aimer et résister avec Jean-Louis Comolli » par Caroline Zéau
et « Pensée pratique » par Romain Lefebvre (Cahiers du cinéma nº 789).