Mass media
L’information est un pouvoir. Et le Pouvoir, c’est la désinformation. D’un côté, Les Hommes du président, le film de Alan J. Pakula qui revient sur l’enquête menée par Bob Woodward et Carl Bernstein, journalistes au Washington Post, et qui donnera le Watergate, exemple peut-être le plus célèbre d’un journalisme d’investigation qui fit trembler un État. De l’autre, Des hommes d’influence, le film de Barry Levinson qui imagine comment des conseillers de la Maison Blanche font appel à un producteur hollywoodien pour inventer une guerre dans le but de détourner l’attention d’un scandale sexuel touchant un président sortant en pleine campagne de réélection. Fabrication de l’information, éditorialisation de la désinformation. De l’influence des médias sur nos sociétés, vus par le cinéma. Pouvoir et contre-pouvoir, populisme et complotisme, divertissement-diversion… Un cinéma paranoïaque pour une société schizophrène (ou inversement).
Un cinéma paranoïaque
pour une société schizophrène
(ou inversement).
Entre mise en spectacle de la société et soumission à la société du spectacle, le cinéma, lui-même média de masse, entretient un rapport ambigu avec les médias. Souvenons-nous que c’est à Méliès, le maître de l’illusion reconnu pour son imaginaire et la fantaisie, que nous devons, en 1899, une série de films relatant sous la forme d’actualités reconstituées les étapes de l’affaire Dreyfus au moment de son second procès. Sobrement intitulé L’Affaire Dreyfus, alors que l’opinion publique se divisait en deux camps, le film prenait cause pour le capitaine, et pour la première fois le cinéma rivalisait avec un édito de presse écrite. De tous les arts, le plus important, dira Lénine un peu plus tard, y voyant le véhicule pour propager la Révolution dans les coins les plus reculés de la jeune URSS. De propagande peut-être, à destination des masses pour sûr, mais un art. Et c’est de son statut de septième art que le cinéma regarde les médias, fasciné et méfiant, critique observateur, possible garde-fou d’un quatrième pouvoir qu’il semble tenir à l’œil entre jalousie et suffisance.
Ainsi, inspiré de Randolph Hearst, tout en devenant le plus grand film de l’histoire du cinéma, Citizen Kane décrit la dérive d’un magnat de la presse corrompu par le pouvoir. Mais le cinéma donnera aussi aux États-Unis leur quarantième président (Reagan). La télévision a, depuis, pris le dessus. Trump, véritable animal médiatique qui tient du Charles Foster Kane 2.0, a assis sa popularité sur un reality-show. En France, lors des dernières élections présidentielles, nous avons vu se déclarer candidat le chroniqueur d’une chaîne d’information permanente appartenant à un grand groupe qui ne cesse d’étendre sa mainmise sur les médias. Zelensky, avant d’être élu président de l’Ukraine, incarnait la fonction dans une série télévisée. Bientôt, c’est le sujet du prochain roman de Philip K. Orwell, une influenceuse dirigera le monde.
Le cinéma observe. Le cinéma critique. Le cinéma moralise. Tout en semblant s’amuser du grand cirque médiatique. Mais il ne doit pas oublier de faire du cinéma. Et quoi de plus cinématographique que la mise en scène d’une enquête journalistique, la couverture d’un fait divers, l’orientation d’une information, la fabrication d’un programme ou d’une icône que l’on peut faire et défaire, la manipulation d’un auditoire ?… Le cinéma ne parle-t-il pas de lui-même quand il perce les coulisses d’un média, découvrant dans l’envers du décor les différentes facettes d’un storytelling qui est aussi un élément prépondérant de son propre ADN ? Le cinéma a donné, parmi les films les plus forts de son histoire, des films qui ont trait aux médias. Aux médias traditionnels, parce qu’il a encore du mal, niveau mise en scène, à s’accommoder aux médias numériques (Wikileaks, réseaux sociaux…) devenus depuis les années 2010 le véritable nouveau (contre-)pouvoir – il est vrai qu’un écran, d’ordinateur ou de téléphone, offre peu de possibilités dramaturgiques. Qu’importe, la mécanique étant toujours la même, l’enjeu posant les mêmes questions : chercher la vérité ou faire du sensationnel ? Imprimer la légende ou légender une impression ? Moyen d’expression ou outil de propagande ?…
Médias et cinéma : le quatrième pouvoir est-il une cinquième colonne à la Une ?… Bienvenue en médiacratie. Où l’important ce n’est pas le message, c’est le massage.
Franck Lubet,
responsable de la programmation de la Cinémathèque de Toulouse