Med Hondo
Quand on parle de Med Hondo, pour le situer sur le grand échiquier du cinéma, on en arrive rapidement, tant son nom est méconnu, à le présenter d’abord comme la voix française d’Eddie Murphy. Ici ou là, au moment de sa mort en 2019, on a pu même lire qu’il était la voix de l’âne dans Shrek. Comme si de le réduire à un statut de doublure ne suffisait pas. Comme s’il fallait à l’Histoire dominante le renvoyer à une voix d’âne – aussi fun soit-il. Comme si l’Histoire, du point de vue occidental, par un atavisme colonisateur, cherchait à prendre sa revanche sur un cinéaste qui n’a eu de cesse tout au long de sa vie, et de ses films, de la dénoncer, de la redresser.
Acteur, principalement de doublage (il était la voix française d’Eddie Murphy, donc, mais aussi de Morgan Freeman, entre autres), Med Hondo était avant tout un cinéaste. Comme John Cassavetes, il jouait pour financer ses films, ou éponger les dettes contractées pour les produire – leurs exploitations commerciales ayant toujours été extrêmement restreintes. Et pour cause, cinéaste indépendant, Med Hondo était surtout un cinéaste militant, dénonçant les conditions des immigrés, le post-colonialisme qui suivit les Indépendances, et proposait une lecture de l’histoire coloniale du point de vue du colonisé. Mauritanien établi en France au début des années 1960, Med Hondo était un cinéaste engagé. Son cinéma est un cinéma noir qui regarde les blancs. Pas un cinéma noir pour les blancs. Mais un cinéma pour les Africains, immigrés en Europe ou du continent. Un cinéma africain.
Comme il est des mots
qui sont chargés
de dynamite, le cinéma
de Med Hondo
est explosif.
« Je tente de trouver une façon différente de montrer des images. Non pour me distinguer des autres cinéastes, mais parce que les faits historiques me distinguent objectivement. Puisque je raconte des histoires différentes, mon cinéma doit être différent », dira-t-il. Et, comme il est des mots qui sont chargés de dynamite, le cinéma de Med Hondo est explosif. Par son contenu : anticolonialiste tendance marxiste. Et explosé : dans sa forme. Les premiers films, marqués par des conditions de production très serrées et l’urgence du cri qui demande à éclater, sont un pur chaos bouillonnant d’inventions. Bâtis comme des films à sketches, ils diffusent un discours critique dans un agrégat de séquences qui oscillent entre ironie et didactisme, Beckett et Brecht, passant d’une intro face caméra qui ferait aujourd’hui des millions de vues et de likes sur YouTube, dans Bicots-Nègres, vos voisins (1973), à une scène de Soleil Ô (1970) où, sur des sons de poulailler et de porcherie, un couple mixte se promène sur un boulevard parisien des années 1960 sous les regards réprobateurs de passants pris à la longue focale en mode caméra cachée. Le cinéma de Med Hondo est cash. Un cinéma de poing levé qui n’a pas peur de nous le mettre dans la figure. À partir de West Indies, les Nègres marrons de la liberté (1979), formidable comédie musicale tragi-comique qui retrace l’histoire de l’esclavage sur un plateau unique en forme de bateau, son style se fera plus sage, plus calme, préférant aux cadrages et au montage syncopés des débuts, la continuité des plans séquences et des travellings (celui qui ouvre West Indies est absolument remarquable). Le regard n’en sera pas moins lucide et acerbe.
Med Hondo est un cinéaste qui regarde la France et l’histoire depuis son endroit : un africain arrivé en France au moment de la décolonisation. Un cinéaste qui regarde l’histoire coloniale – et le néo-colonialisme présent – dans le blanc des yeux. « Douce France, je suis blanchi par ta culture, dira le narrateur de Soleil Ô, mais je demeure bien nègre comme au commencement. Je te donne le salut de l’Afrique. » Il est peut-être temps de le/la saluer en retour.
Franck Lubet,
responsable de la programmation de la Cinémathèque de Toulouse
En partenariat avec Ciné-Archives à l’occasion de la sortie du coffret DVD/Bluray coédité avec Doriane Films consacré à Med Hondo, cinéaste anticolonialiste
et rebelle.
Ciné-Archives gère le fonds audiovisuel du PCF et du mouvement ouvrier. L’association a pour mission la conservation et la promotion de ces archives.
Depuis 2018, Ciné-Archives est en charge de la préservation de l’œuvre de Med Hondo et œuvre à la circulation et à la restauration de ses films.