L’Amérique vue par…
Une proposition sur le principe du Paris vu par…, film à sketches collectif prenant pour cadre Paris et réalisé par plusieurs cinéastes de la Nouvelle Vague. Ici, une programmation de longs métrages comme des sketches prenant pour cadre les États-Unis d’Amérique vus par… des cinéastes étrangers (principalement européens).
Véritable eldorado d’immigration pour les Européens laissés-pour-compte de la révolution industrielle au XIXe siècle, les États-Unis ont ensuite exercé tout au long du XXe siècle une forte attirance culturelle dont le cinéma a été le phare et Hollywood le poumon.
Les Français Alice Guy et Maurice Tourneur gagnent les États-Unis dans les années 1910, alors que le cinéma européen (principalement français et italien) domine l’industrie. Le Suédois Victor Sjöström, les Allemands Ernst Lubitsch, F. W. Murnau, répondent quant à eux aux sirènes hollywoodiennes dans les années 1920, après que le cinéma américain a imposé son hégémonie internationale à la faveur de la Première Guerre mondiale (les Autrichiens Erich von Stroheim et Josef von Sternberg ont directement commencé leur carrière cinématographique aux USA). Puis les années 1930 et la montée du nazisme verront débarquer à Hollywood des cinéastes de la Mitteleuropa (Fritz Lang pour ne citer que le plus célèbre), bientôt suivis par les Français fuyant l’Occupation (Jean Renoir, Julien Duvivier).
Mais, toujours, ces cinéastes immigrés ou en exil ont dû se fondre dans le moule hollywoodien et répondre aux prérogatives d’une industrie culturellement normée. Soit qu’ils conjuguaient les codes culturels américains avec leur european touch. Soit qu’ils dépeignaient à travers leurs films l’exotisme d’une Europe de carte postale passée par le filtre hollywoodien.
Avec les années 1950, la fin de la Seconde Guerre mondiale qui laisse l’Europe exsangue et le Plan Marshall pour la reconstruire, le cinéma américain finit de régner sur le monde et par propager à travers ses films sa culture, son American way of life : chewing-gum, jeans et Coca conquièrent la jeunesse européenne. Une nouvelle génération voit le jour, qui biberonne au Made in USA et rêve du rêve américain.
C’est paradoxalement cette génération, les enfants de Marx et Coca-Cola comme disait Godard, qui contestera dans l’agitation politique des années 1960 l’hégémonie d’une Amérique devenue impérialiste. Les Nouvelles Vagues remuent le cinéma jusque dans les studios américains déclinant qui, en s’ouvrant à un Nouvel Hollywood, acceptent des films plus auteurisants, c’est-à-dire plus ouvertement, culturellement, critiques.
Entre fascination et regard critique, c’est cette génération de cinéastes, principalement durant les années 1970 et 1980, qui est allée voir l’Amérique avec ses propres yeux, qui alla la scruter au-delà de l’image que ses films exportaient. Une Amérique vue par… comme un miroir légèrement décadré de l’imagerie-mirage que Hollywood a créée et dans laquelle les États-Unis ont fini par se reconnaître. Du rêve américain à une Amérique fantasmée, de l’Amérique rêvée au cauchemar américain, une programmation qui explorera les images que l’on (se) projette, de soi pour l’autre et de l’autre pour soi.
Franck Lubet, responsable de la programmation de la Cinémathèque de Toulouse