Gus Van Sant
Gus Van Sant est un cinéaste fascinant. Un pied dans le cinéma indépendant, l’autre dans la machinerie hollywoodienne, et la tête dans une recherche contemporaine d’art, empruntant la voie ferrée de l’Histoire américaine tel un hobo. Clandestinement. Un cinéaste anticonformiste, post Beat Generation. Un faiseur d’icônes (Keanu Reeves, River Phoenix, Matt Dillon, Matt Damon…) qui travaille également des figures iconiques de la contre-culture américaine : William Burroughs, Harvey Milk, Kurt Cobain, ou encore Andy Warhol, son spectacle musical écrit et mis en scène pour la scène (Trouble) à voir au ThéâtredelaCité.
Gus Van Sant fascine par son parcours tout en circonvolutions, fait de cycles cohérents et de virages à centre quatre-vingt degrés.
Un premier cycle (de Mala Noche à Prête à tout), du milieu des années 1980 au milieu des années 1990, qui impose les bases esthétiques et thématiques du cinéma indépendant américain. Du grain et des marges. Une jeunesse déboussolée qui retrouve dans l’errance la voie d’une Americana transgressée. Des rebelles sans cause qui puisent leur histoire dans le mouvement ; épuisant celle, mythique, qui s’est écrite avec celui des pionniers. Gus Van Sant est un iconoclaste faiseur d’icônes. Les cowboys sont désormais paumés. Alors les paumés seront les nouveaux cowboys.
D’un récit
de la circulation
à la circularité
du récit.
Le deuxième cycle est celui d’Hollywood, de Prête à tout à À la recherche de Forrester, du milieu des années 1990 au début des années 2000. De facture plus classique, formellement, Gus Van Sant l’indépendant se frotte à l’industrie du cinéma. Une nouvelle inspiration ? De To Die For (titre original de Prête à tout) à « finding » (Finding Forrester), de « mourir pour » à « trouver », la jeunesse orpheline du premier cycle croise d’hypothétiques tuteurs. De la question des origines à celle de l’avenir. Le cinéma de Gus Van Sant semble se sédentariser. Comme une respiration qui débouchera finalement sur une forme de hoquet.
Le souffle coupé. C’est le troisième cycle, celui que l’on appelle la tétralogie de la mort, de Gerry à Paranoid Park. Les années 2000. La rupture. Formelle. Le virage vers une forme d’abstraction qui n’est plus ni hollywoodienne ni d’une esthétique indé. Et le retour du mouvement, circulaire, enfermé, comme en butée. Où l’on tourne en rond, de la circularité au concentrique, de la circulation à la concentration, sans horizon d’avenir, pris de dos et entraînés par les pas d’hypnotiques tueurs. Espace mental d’une histoire qui, de son origine ou de son avenir, ne sait plus vers où aller. D’un récit de la circulation à la circularité du récit.
Le dernier cycle – de la fin des années 2000 à nos jours, depuis Harvey Milk – sera donc tout naturellement celui des spectres. Du retour à l’Histoire et, paradoxalement hanté par les fantômes, celui de l’impossible survie. En redonnant un sens à l’Histoire. Un possible recommencement contre un définitif renoncement.
Le cinéma de Gus Van Sant est fascinant parce qu’il est absolument cohérent malgré son apparente hétérogénéité formelle. Il avance en cycles, comme des cercles autonomes, et il dessine pourtant une trajectoire. Il avance comme des ronds dans l’eau, comme se propage en ondes l’impact d’une pierre à la surface d’une eau plate. On peut le lire comme une suite de cercles indépendants mais liés à un même mouvement, comme une suite de ricochets liés du premier au dernier film en une trajectoire rectiligne. Celle d’une génération qui s’est retrouvée dans la perdition. La première génération après la fin des utopies. Par la première génération d’un cinéma d’auteur post Nouvel Hollywood.
Franck Lubet,
responsable de la programmation de la Cinémathèque de Toulouse