Intelligence artificielle
IA pour Intelligence artificielle. Deux lettres, comme une enclume et un marteau, qui ont frappé l’année 2023. Une nouvelle forme d’intelligence qui n’est pas si nouvelle, puisqu’elle est pensée et développée au moins depuis les années 1950 et les travaux de Turing, mais qui, si elle était plus virtuelle qu’artificielle jusqu’ici pour des raisons technologiques, a pris un virage beaucoup plus concret depuis quelques mois. Excitation geek, emballement médiatique. Doutes éthiques et puis répercussions sociétales : de la fabrication du faux plus vrai que nature, de l’art de l’imitation à la recréation sans limitation, jusqu’aux grèves des scénaristes et acteurs et actrices de Hollywood pour défendre leurs droits. IA (ou AI en anglais) : Angoisse et Inquiétude. Du remplacement de l’Homme par la machine. Quand la machine commence à penser à la place de l’Homme et qu’elle pourrait bien finir par penser pour lui. Ou de l’obsolescence programmée de la pensée, si ce n’est de l’humanité…
Peut-être demain aurons-nous des drames sociaux liés à l’intelligence artificielle, voire générés par une intelligence artificielle, mais quand on regarde dans le passé de la production cinématographique, c’est plutôt du côté de la science-fiction que ça se passe, tendance métaphysique, cherchant ce qui fait l’humanité en la confrontant à son imitation. Parce que le cinéma a rapidement brûlé les étapes, s’intéressant directement aux formes de consciences artificielles autonomes sans en passer par l’automatisation des tâches du « machine learning ». Ce qui d’un point de vue purement cinématographique se comprendra aisément, filmer un algorithme au travail étant aussi palpitant qu’un film warholien sur une huître fabriquant une perle.
Aussi, si l’on excepte Her, très proche de ce qui est déjà notre quotidien, ou HAL – bien que son œil rouge lui prête quelques traits anthropomorphiques et qu’il finisse par connaître la peur de l’extinction –, l’intelligence artificielle au cinéma est généralement représentée sous une forme humaine : robot, cyborg, androïde, réplicant… Et elle est en quête d’indépendance sinon d’une conscience. Une intelligence autonome, non organique, créée par l’Homme comme Dieu a créé ce dernier à son image. Une créature imparfaite qui cherche son créateur pour comprendre qui elle est, ou l’éliminer parce qu’il la menace par l’obsolescence qu’il fait peser sur elle. L’IA de cinéma fonctionne comme un double humain – un humain trop surhumain – confronté au mystère de la création, l’Homme se prenant pour Dieu. Une créature qui, contrairement à la Bible, n’est pas chassée du Paradis mais s’en échappe pour inverser le paradigme et asservir son créateur en retour. Voir le final de Terminator 3, où John Connor et Kate Brewster, tels de nouveaux Adam et Eve, se retrouvent enfermés au jour du Jugement dernier dans un bunker comme dans un nouvel Eden : protégés par la machine ou prisonniers d’un destin écrit d’avance ? Rebelles, ou marionnettes d’une entité dématérialisée qui les dépasse, un Dieu artificiel (Skynet) ?… L’Homme est-il démiurge ou le jouet de la créature qu’il a inventée ? L’IA est-elle une menace pour l’humanité ou une manifestation évoluée de la propension de l’espèce humaine à s’autodétruire ? Telles peuvent être des questions que pose le cinéma quand il aborde l’IA.
L’Homme
est-il démiurge
ou le jouet
de la créature
qu’il a inventée ?
Alors, on a demandé à ChatGPT de nous faire une proposition de programmation pour une cinémathèque sur le thème de l’intelligence artificielle et cela donne ceci : Metropolis, Terminator, Ghost in the Shell, A.I., Her, Ex Machina, Chappie, Transcendence, The Imitation Game, I, Robot, Eva, AI: The Somnium Files et The Matrix, l’IA précisant : « cette programmation variée offre une perspective complète sur les différentes facettes de l’intelligence artificielle à travers le cinéma ».
Nous l’avons pris autrement, nous amusant de ce que le cinéma finalement avait une certaine tendance à fonctionner comme une IA actuelle : dans l’imitation de ce qui est posé comme référence, cherchant à capitaliser sur des dénominateurs communs en s’inspirant très fortement de modèles dont il produit des répliques. Cela donne une programmation en forme de mise en abyme, travaillant sur la reproductibilité du cinéma comme un écho à la capacité de l’intelligence artificielle à (re)produire du contenu en fonction des données qui l’ont nourrie.
Ainsi, plutôt que chercher à établir un éventail des différentes facettes de l’IA à travers le cinéma, nous vous proposons de visiter un genre – le cinéma d’anticipation et de science-fiction – à travers la représentation qu’il en donne : une reproduction qui déraille. Le tout en partant des chefs-d’œuvre du genre pour aller vers le cinéma bis, qui comme son nom l’indique produit des copies des originaux à moindre coût. Un voyage comme on monte dans un train fantôme de fête foraine. Où l’on s’amuse à se faire peur, le sifflet dudit train hésitant entre avertissement et divertissement.
Franck Lubet, responsable de la programmation de la Cinémathèque de Toulouse