Yoshimitsu Morita
Un grand merci tout d’abord à la Maison de la culture du Japon à Paris qui nous a fait découvrir le cinéma de Yoshimitsu Morita et nous permet de partager cette découverte au cours d’un week-end qui, s’il est loin d’être exhaustif, rendra compte de la maestria et de la pluralité d’un auteur dont nous ne soupçonnions même pas l’existence. Car il faut bien l’avouer, Yoshimitsu Morita (1950-2011), pourtant extrêmement populaire et acclamé au pays du soleil levant, est une de ces figures majeures du cinéma japonais qui a échappé au regard occidental. Un cinéaste très prolifique qui, des années 1980 aux années 2000 avec quasiment un film par an, a donné dans tous les genres, de la comédie populaire au drame intimiste en passant par le film de sabre et le film d’horreur. Mais dont aucun film n’a été distribué en France. Une lacune que l’on doit en grande partie au manque d’intérêt du cinéma japonais des années 1980 pour le marché occidental et qui pose encore la question que soulevait en son temps le cinéma d’Ozu : trop japonais pour un public occidental ? Ou pas assez ?… Vous pourrez en juger par vous-même en découvrant un cinéma encore inédit sous nos latitudes.
Yoshimitsu Morita commence par faire des films expérimentaux en 8 mm, quand il est encore étudiant dans les années 1970, avant de tourner un long métrage autoproduit au tout début des années 1980 et d’être sollicité par la Nikkatsu, importante major pour laquelle il réalisera deux pinku eiga, ou « roman porno » (films érotico-romantiques) – le genre maison du studio qui fut aussi pour toute une nouvelle génération de cinéastes une école de formation (petits budgets et blitz-tournages) comme l’AIP (American International Pictures) de Roger Corman fut un vivier du Nouvel Hollywood. Et puis il signera en 1983 Jeu de famille, une comédie satirique dont l’écho fait encore caisse de résonance. Un film qui pourrait tenir à la fois du Théorème de Pasolini et du Charme discret de la bourgeoisie de Buñuel. Un film qui l’impose d’emblée au cœur de ces jeunes cinéastes qui feront le cinéma japonais des années 1980 et 1990.
Ses films saisiront quelque chose de la bulle économique de l’époque, de l’euphorie à la désillusion, à la fois source d’émancipation et d’asservissement de toute une société vivant sous la pression d’une industrie triomphante : l’ère des salarymen qui donnent leur vie à l’entreprise à laquelle ils sont salariés. Mais ses films seront également, comme par contamination, saisis par leur époque. Touchés dans leur forme, dans leur narration : un système narratif classique, tissé d’élégants travellings, qui petit à petit se dérègle, se fissure en un montage fragmentaire de plus en plus chaotique ou subissant l’intrusion d’une texture différente de l’image venue parasiter l’esthétique de départ.
Un cinéma
du dérèglement
progressif.
Yoshimitsu Morita est un cinéaste du dérèglement progressif. Il opère une alchimie entre une forme classique du récit cinématographique et une approche expérimentale qui répond aux fêlures qu’induisent les sujets qu’il aborde. Ainsi dans Sorekara, film à la mélancolie sourde sur le drame d’un amour empêché par la raison sociétale, il parsème le récit de séries de plans fixes dans lesquels les personnages tiennent des poses immobiles comme dans des photographies qui n’en sont pas vraiment, comme des instantanés ; des plans courts comme les saillies d’une future mémoire en fragments, montés telles des bulles d’air enfermées dans la vase d’un étang et qui remontent à la surface dans le désordre du souvenir. Ainsi, dans un registre complètement différent, dans Keihô, film de procès autour de la question de la dissociation de personnalité, feinte ou pas, d’un assassin, il joue avec des flous et un cadrage de guingois, ajoutant une instabilité formelle au doute auquel le sujet du film se confronte.
Chacun de ses films est à la fois une proposition unique, s’attaquant à des genres totalement différents, libre de ne pas se répéter, et pourtant totalement cohérent dans l’ensemble ; unis par ce même désir de trouver à chaque fois une forme narrative en corrélation avec le sujet même du film. Et l’on pourra s’étonner de voir que c’est la même personne qui a réalisé Une famille dans la tourmente et Black House et prendre, en même temps, un plaisir pur de cinéphile à voir un cinéaste chercher non pas un style propre mais une écriture propre à chaque film.
Franck Lubet, responsable de la programmation de la Cinémathèque de Toulouse