Film noir

Les femmes y sont fatales pour se protéger d’une société qui veut les fêler. Les hommes jouent les durs pour masquer leurs fêlures ; aux autres et à eux-mêmes. Et marqué du sceau de la tragédie démocratisée, il faut que ça finisse mal ; dans la cruelle poigne d’un destin joueur, sardonique sinon cynique. Sombre est le monde. Noirs sont les hommes. Noir cinéma.
Le film noir, en tant que genre à part entière, naît à Hollywood dans les années 1940. Il est une émanation du cinéma policier, et de gangsters, transfiguré par une photographie expressionniste que les cinéastes de la Mitteleuropa, fuyant l’Allemagne nazie, ont ramenée à Hollywood – le réalisme poétique français n’est pas loin non plus. Ce qui en fait, d’abord, une esthétique. Un noir et blanc tranchant, aiguisé au clair-obscur ; éclaboussé plus tard par la couleur, passée au rouge de la dame de pique.
Mais c’est surtout un théâtre d’ombres où les ratés et les tarés ont droit à un peu de lumière. Le film noir est leur royaume, les losers magnifiques, condamnés à échouer. Ce sera leur victoire. Reflets des inquiétudes sociales et morales, le film noir en est en même temps l’exutoire. Une figure de style qui retourne la morale comme un gant – Put the Blame on Mame. Un style de figure sur laquelle on n’en finit pas de projeter la monstrueuse beauté d’un désir inéluctable de vie. Noir dessein sur un écran blanc.

Franck Lubet, responsable de la programmation de la Cinémathèque de Toulouse