Eurociné | Le Lac des morts-vivants
Couleurs
Christophe Bier
De sa plume savante, il peut venir chatouiller les pages de Mad Movies. Radiophoniquement, son docte phrasé clôt régulièrement l’indispensable « Mauvais genres ». Christophe Bier est un chroniqueur au style racé. Il est surtout un érudit, et particulièrement des choses que le savoir ne veut pas savoir. On lui doit par exemple un livre et un film sur les nains au cinéma, sujet qu’il a rendu majeur. On lui doit également des documentaires sur Jean Gourguet, Daniel Emilfork, la série B allemande et, dernier en date, son tout frais Eurociné 33 Champs-Élysées, formidable voyage au cœur de l’incroyable et seule maison de production française à avoir donné dans le cinéma d’exploitation. S’il fallait en rajouter, rappelons qu’il est aussi comédien, notamment chez Jean-Pierre Mocky, ou tout récemment dans le dernier porno d’Ovidie dans lequel il interprète un sexologue. Un rôle tout à sa mesure puisqu’il a dirigé à la force du poignet l’incomparable Dictionnaire des films français pornographiques & érotiques 16 et 35 mm, ouvrage fascinant qui a hissé la pornographie au niveau encyclopédique.
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Jean-Pierre Bouyxou
Actionniste érudit, pourfendeur des normes et défenseur d’un art de la brèche ; du cinéma expérimental à l’érotisme, en passant par le fantastique de tout poil ou la comédie façon Émile Couzinet, Jean-Pierre Bouyxou promène son lyrisme contestataire en terres cinéphiles depuis bien quarante ans. Un pur. Sa plume est acerbe, mais ne perd jamais sa bonne humeur. Bouyxou sévit aujourd’hui à Siné Mensuel – il a été auparavant de l’aventure des Hara-Kiri, Lui, Actuel, La Revue du cinéma, et bien d’autres encore, la liste serait trop longue. On lui doit, entre ses romans érotiques sous pseudonyme, la première étude sérieuse consacrée au mythe de Frankenstein et le livre définitif, coécrit avec Pierre Delannoy, sur L’Aventure hippie. Quant à ses films, que ce soient les expérimentaux Graphity ou Satan bouche un coin, le ready-made Sortez vos culs de ma commode, ou les pornographiques Amours collectives et Entrez vite… vite, je mouille, ils sont toujours aux films traditionnels ce que les graffitis de chiotte sont à la grande littérature… Ah, et il a été aussi, bien sûr, de l’aventure Eurociné. Toute une aventure justement.
Hommage à Eurociné
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Eurociné
Eurociné, d’abord, c’est quoi ce truc ? Avortement clandestin !, L’Horrible Docteur Orlof, Des filles pour les mercenaires, Les Aventures galantes de Zorro, Pour un whisky de plus, Elsa fraulein SS, Pigalle carrefour des illusions, Le Sadique de Notre-Dame, Mondo Cannibal, Train spécial pour Hitler, La Vie amoureuse de l’homme invisible… voici quelques titres parmi la tripotée qui constitue le catalogue d’Eurociné. Des titres évocateurs qui suffisent à situer le projet. Eurociné est une maison de production et de distribution spécialisée dans le cinéma d’exploitation. Du pur bis qui fait frémir les bisseux eux-mêmes. Des zombies et des filles qui se dénudent, des nazis et des filles en cage, du fantastique gothisant et des cannibales estourbissants, le tout sans un rond dans des décors qui n’en sont pas. Des productions fauchées qui ont alimenté les salles de quartiers avant d’inonder les rayons de VHS soldées. Et c’est français, messieurs dames ! Eh oui, mesdames messieurs, nous aussi on a notre Roger Corman, nous aussi on a notre Lloyd Kaufman. Ils s’appellent Lesœur. Père et fils. Marius et Daniel. Bon, à part la spécificité de l’exploitation qui consiste à dépenser le moins d’argent possible pour faire des films qui en rapportent le plus possible, on n’est pas tout à fait du côté de Troma. C’est cela, aussi, l’exception culturelle. On est dans le business, mais sans le show. Eurociné est une entreprise familiale (la petite entreprise des Lesœur, donc) qui a toujours su s’adapter au marché tout en restant à chaque fois à sa place. Une forme de sincérité naïve, dans sa vocation et dans les produits qu’elle propose, qui peut prêter à sourire mais qui a fait ses preuves et force le respect : l’aventure dure depuis la fin des années 1940, avec un très fort pic de production entre la fin des années 1960 et celle des années 1980. C’est surtout le seul exemple français d’une telle aventure. Cela valait bien un coup de rétro.
Le reste de l’histoire, plus en profondeur, avec Christophe Bier – et son documentaire Eurociné 33 Champs-Élysées – et Jean-Pierre Bouyxou, acteur à tous les sens du terme, de cette ahurissante page du cinéma français.
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Le Lac des morts-vivants
Un paisible village français des années 1950. Des jeunes filles qui font trempette dans un lac et disparaissent. Ce pourrait être le fait d’un vulgaire pervers psychopathe. Mais non, c’est une bande de nazis assassinés par le village à la fin de la guerre. Jetés dans le lac, ils refont surface pour se venger, parce qu’ils ont faim, ou parce qu’ils ont l’instinct paternel. Ils sont morts, ils sont vivants. Ils sont mouillés, il va falloir les passer au lance-flammes. Au-delà de tout. Au-delà de sa sérieuse réputation de plus mauvais film sorti de l’hexagone. Au-delà du nanar, un naufrage en direct. Le Titanic qui coule sans l’iceberg. Un sabordage comme la marine nationale à Toulon en 1942. Impossible. Impensable. Indispensable.
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précédé de The Crononaut | Désirée Haupts
2012. Suisse. 15 min.
Avec Lucie Blaise, Elliott Blaise
« Un mystérieux voyageur dans le temps revient sur Terre pour activer une machine capable de contrôler les lois physiques de la planète. »
Jouant dans le registre de la SF spirituelle et réflexive, The Crononaut, comme il se doit, parle du futur pour mieux évoquer notre présent, la caméra de Désirée Haupts se faisant l’œil scrutateur de son personnage principal. Formellement impeccable, c’est un film qui ne dévoile toute son ampleur que sur grand écran, où l’on saura pleinement apprécier la puissance de ses images et de sa musique.
première française