Senso
Luchino Visconti. 1953. It. 115 min. Coul. DCP. VOSTF.
Le quatrième film de Luchino Visconti et le tournant de l’œuvre viscontienne. Pour la première fois de sa carrière, le metteur en scène se tourne vers les hautes sphères de la société. La sensualité du Technicolor succède à l’austère noir et blanc des premiers films. Reconstitution historique et chute de classe, Visconti sortait du néoréalisme. Ou plutôt, il retirait le préfixe « néo » au réalisme. « Senso s’apparente à l’esthétique romanesque procédant de Flaubert et particulièrement affirmée par le naturalisme, c’est-à-dire une littérature simultanément descriptive et critique », écrivait Bazin. Alors que l’Italie s’insurge contre la domination autrichienne, une comtesse italienne tombe éperdument amoureuse d’un jeune lieutenant autrichien… Patriotisme, trahison, lâcheté et humiliation, une histoire d’amour flamboyante sur fond de déchéance aristocratique. Senso est une incontestable réussite, un vrai feu d’artifice à l’élégance inouïe qui connut pourtant un tournage houleux et quelques démêlés avec la censure de l’époque. Prévu initialement pour occuper le haut de l’affiche, le tandem Ingrid Bergman / Marlon Brando fut remplacé à la dernière minute par le duo Alida Valli / Farley Granger. D’ailleurs, suite à une dispute avec le réalisateur, ce dernier regagna les États-Unis avant la fin du tournage obligeant Visconti à utiliser une doublure dans les toutes dernières scènes du film. Sous la pression des censeurs, la production demanda à Visconti « d’alléger » son propos politique et surtout de tourner une nouvelle fin beaucoup plus conventionnelle sous prétexte que l’Italie, au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, n’avait pas à se souvenir de ses défaites. Malgré ces difficultés, Luchino Visconti livre un somptueux opéra filmé, romanesque et mélodramatique, qui, à travers la défaite de Custoza, illustre l’évanouissement des espoirs de révolution communiste après la libération de l’Italie. Du très grand cinéma !
Film choisi par Régis Debray