Histoires de cinéma 1
Raconter le cinéma. Le raconter comme on raconte des histoires. C’est le désir qui a présidé à la création de ce nouveau moment de la Cinémathèque de Toulouse. Et c’est la proposition que nous avons faite à nos invités. Travailler ensemble une proposition de programmation qui s’inscrive dans un récit, une programmation qui soit récit. Parce que mettre des films ensemble, qui se prolongent, qui se répondent, qui se télescopent, c’est dire quelque chose. Quelque chose du cinéma et quelque chose du monde dans lequel on vit. L’Histoire. Et des histoires. L’Histoire à travers des histoires. Et des histoires qui font l’Histoire. Quelque chose du passage, du témoignage, de la transmission. Et qui passe par la mise en regard.
Aujourd’hui où tout va très vite, où les images et les sons sont un flux continu, où l’immédiateté permanente plante les germes de l’oubli, aujourd’hui où même le cinéma dit de patrimoine est rattrapé par les diktats de l’actualité à tout crin, où l’actualité même s’est marchandisée, Histoires de cinéma propose une parenthèse. Un temps pour sortir des circuits tout tracés, un temps pour emprunter des chemins buissonniers, pour se perdre afin de mieux se retrouver. Un temps, quasiment, de chaos. De celui qui prépare à la création, qui est gestation. Un temps pour remettre le cinéma en question et en jeu.
Pour cela il fallait une formule différente, sortir de la rétrospective et de la vitrine exclusive du label « film restauré ». Pour cela il fallait donner la parole à des acteurs du cinéma, et l’ouvrir à d’autres acteurs de la vie culturelle, en leur demandant d’exprimer une idée, une position, un désir, de nous raconter une histoire, à travers des films. Et pour cela il fallait la parole de personnalités d’horizons différents, qui, réunies, offrent une approche totalement kaléidoscopique du cinéma. Ce qui fera d’Histoires de cinéma un festival de cinéma singulier, moins festival, tel qu’on l’entend classiquement, qu’un laboratoire du regard. Pas simplement un festival qui donne à voir des films, mais un festival qui ouvre les yeux.
Se posait alors, aussi, la question du format. Fallait-il suivre la tendance festivalière à la profusion ? Profusion d’invités, profusion de films, profusion d’événements… profusion qui nous met les yeux plus gros que le ventre au point de ne plus savoir où regarder. Parce que c’est aussi ce que l’on attend généralement d’un festival. D’être indécis comme un enfant devant un catalogue de Noël, de courir un marathon au rythme d’un sprint, de chercher l’ivresse dans une consommation frénétique, les yeux rivés sur sa grille de films et sa montre, comme un aventurier avec sa carte et sa boussole, pour enchaîner les séances comme on accumule les étapes, au risque que la course finisse par ressembler davantage à une fuite en avant qu’à une expédition et que d’aventuriers nous ne soyons finalement que des promeneurs déboussolés tournant en rond dans une forêt de films qui finissent par tous se ressembler, aveuglés par une consommation devenue consumérisme. À bout de souffle. Vidés au bout d’une expiration prolongée.
Or c’est bien une inspiration que l’on voulait proposer avec ce nouveau festival. Une respiration. Un moment de pause plutôt que de frénésie. Et c’est dans l’épure que nous voulions ce moment. Un festival à la manière Ozu. Un temps dans notre saison, dense mais aéré, pour tenter de saisir et de fixer quelques pensées de cinéma. Et comme Ozu avec son cinéma, nous nous sommes imposé des règles. Nous avons défini un cadre – pour mieux le déborder et aller au-delà.
Cinq invités, issus du cinéma ou d’autres arts. Ni cinéaste, ni acteur : rétrospective interdite. Plus une archive de cinéma. Et quatre à cinq films chacun, avec une rencontre-discussion. Des formes brèves comme des haïkus, pour ouvrir des perspectives, et qui, mises ensemble, offrent l’étrange composition d’un cadavre exquis. Le tout composant une histoire du cinéma racontée dans une forme de collision poétique. À la manière d’une anthologie qui s’écrira d’année en année. Et dont chaque édition sera un chapitre.
Dans ce premier chapitre nous retrouverons Caroline Champetier, une des plus grandes directrices de la photographie françaises, qui abordera la question de la direction artistique à travers deux films qu’elle a éclairés et trois autres qu’elle mettra en regard de son propre travail. De même, Bruno Coulais, le compositeur au plus de cent films, nous introduira à la musique de cinéma avec deux films dont il a composé la musique et deux autres qu’il nous présentera avec son regard et son oreille. Rémy Julienne, la légende vivante de la cascade, nous racontera une histoire de la cascade, un art de l’illusion et de la mécanique auquel il a donné ses titres de noblesse à une époque où le fond vert et le numérique n’existaient pas. Avec Régis Debray, philosophe que l’on ne présente plus, il sera question bien entendu de politique, de l’homme et du politique. Et enfin, avec l’écrivain Yannick Haenel, dont le dernier roman – _Tiens ferme ta couronne_ (Éditions Gallimard) – puise au cinéma, notamment de Cimino, il s’agira de croiser littérature et cinéma à travers une programmation de films qui s’inscrit dans le prolongement, justement, de son roman. Sans oublier la Cinemateca Portuguesa qui viendra nous présenter films clés et raretés de ses archives et de l’histoire du cinéma portugais.
Et comme toute règle nécessite ses exceptions pour être confirmée, Neil Brand, le grand compositeur anglais spécialisé dans l’accompagnement de films muets et qui fera l’ouverture du festival, nous a fait part de son goût pour la comédie et du plaisir qu’il aurait d’accompagner une séance de courts comiques. Un plaisir partagé qui ne se refuse pas. Aussi lui avons-nous proposé une séance de comédies muettes françaises, suivie d’un échange avec Michel Lehmann, autre spécialiste de l’accompagnement musical du muet. Pour le plaisir, et parce que nous aimons énormément le cinéma muet. Et puis, seconde exception, Frederick Wiseman sera du festival, en préouverture, pour une rencontre exceptionnelle, le vendredi 3 novembre à 17h, avant d’aller présenter son dernier film, Ex Libris, The New York Public Library, à l’American Cosmograph. Une rencontre qui s’inscrit dans le prolongement de la rétrospective que nous lui avions consacrée en mai dernier et à laquelle il n’avait pu se joindre, retenu par le montage justement de ce film. Déjà toute une histoire en soi.
Il était donc une fois…
Franck Lubet, responsable de la programmation